Page:Weiss - À propos de théâtre, 1893.djvu/259

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mal à ce qu’on sait de l’humeur ouverte et des grâces franches d’Henriette. Envers Corneille surtout, c’eût été une trahison. Corneille avait en 1670, soixante-quatre ans ; il était sous le coup de son Agésilas et de son Attila. Racine avait trente ans ; il avait pour lui le roi, son compagnon d’âge, la jeune cour, Andromaque et Britannicus, deux succès de la veille. Les chances de vaincre étaient bien faibles pour Corneille. En ces conditions-là, on ne mène pas les gens à la bataille à leur insu ; s’ils y vont, il faut que ce soit de leur plein gré, bien et dûment avertis. Je suppose que Corneille n’y est allé qu’ainsi. Il avait la faiblesse d’être impatient des succès de son jeune rival et du trop peu de déférence avec lequel celui-ci jouissait à l’égard des gloires anciennes de sa gloire récente. Il avait l’illusion de se croire encore en pleine vigueur et de juger son bras invincible parce qu’il avait été longtemps invaincu. Il suffisait de lui insinuer l’idée de la lutte pour qu’il l’embrassât avec la même solidité d’orgueil qui lui avait fait dire, amoureux quinquagénaire, à la Duparc :


Chez cette race nouvelle
Où j’aurai quelque crédit,
Vous ne passerez pour belle
Qu’autant que je l’aurai dit.