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ESCALADES DANS LES ALPES.

trait toujours aussi reconnaissant que le chien habitué à être battu, quand son maître lui fait une caresse.

Un vent violent s’éleva tout à coup du côté de l’est pendant la nuit, et le matin nous fûmes menacés d’un véritable ouragan. La tente se comporta magnifiquement et nous y restâmes abrités pendant plusieurs heures après le lever du soleil, ne sachant trop ce qu’il y avait de mieux à faire. Une accalmie nous décida à nous mettre en route, mais nous avions à peine monté de 30 mètres que la tempête nous assaillit avec une furie plus violente encore. Impossible d’avancer ni de reculer : tous les débris étaient balayés sur l’arête où nous nous trouvions et nous dûmes nous cramponner de toutes nos forces aux rochers en voyant des pierres grosses comme le poing emportées horizontalement dans l’espace. Nous n’osions pas tenter de nous tenir debout et nous restions tous quatre immobiles, collés pour ainsi dire aux rochers. Le froid était intense, car la rafale avait passé tout le long de la chaîne principale des Alpes Pennines et traversé tous les immenses champs de neige que domine le Mont-Rose. Notre courage s’évapora aussi rapidement que notre calorique, et, au premier moment de calme, nous battîmes en retraite sous la tente, obligés même de faire halte plusieurs fois pendant ce court trajet. Taugwald et Kronig, déclarant alors qu’ils en avaient assez, refusèrent obstinément d’avoir aucun rapport avec la montagne. Meynet aussi nous informa que la fabrication de ses fromages rendait pour le lendemain sa présence nécessaire dans la vallée. Il devint donc urgent de retourner au Breuil, et nous y arrivâmes à 2 heures 30 minutes de l’après-midi, extrêmement désolés de notre défaite ; elle était en effet complète.

Jean-Antoine Carrel, attiré par les bruits qui couraient dans la vallée, était monté jusqu’à l’auberge pendant notre absence, et, après quelques négociations, il consentit à nous accompagner au premier beau jour, avec un de ses amis nommé Pession.

Nous nous réjouîmes de ce résultat, car bien évidemment Carrel considérait la montagne comme une sorte de propriété réservée, et par conséquent notre dernière expédition était à ses