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CHAPITRE V.

yeux un acte de braconnage[1]. Le vent tomba pendant la nuit et nous repartîmes, à huit heures du matin, par un temps irréprochable, avec nos deux guides et un porteur. Carrel nous fit l’agréable proposition d’aller camper beaucoup plus haut que la veille ; aussi continuâmes-nous à monter sans nous reposer au col jusqu’à ce que nous eussions atteint le sommet de la Tête-du-Lion. Y ayant découvert un endroit abrité, près de la Cheminée, un peu au-dessous du sommet de l’arête, sur son versant oriental, nous parvînmes à y construire une plate-forme d’une grandeur suffisante et d’une solidité remarquable, sous la direction de notre guide, qui était maçon de profession. Elle se trouvait à une hauteur d’environ 3825 mètres d’altitude, et je crois qu’elle existe encore à présent[2].

La journée était si belle que nous continuâmes à monter, et, après avoir grimpé pendant une petite heure, nous atteignîmes le pied de la Grande-Tour, c’est-à-dire le point le plus élevé où était parvenu M. Hawkins, puis nous regagnâmes notre bivouac.

Nous nous remîmes en marche le lendemain matin à quatre heures, et, à cinq heures quinze minutes, par un temps superbe et avec le baromètre à 28°, Carrel escaladait la Cheminée ; Macdonald et moi le suivîmes, Pession monta le dernier, mais, quand il se trouva au sommet, il se sentit, dit-il, très-malade, et, se déclarant absolument incapable d’aller plus loin, il nous signifia qu’il voulait redescendre. Nous attendîmes quelque temps, mais il ne se remit pas, et nous ne pûmes deviner la nature de son mal. Carrel refusa nettement de continuer l’ascension seul avec nous. Nous étions donc abandonnés par nos

  1. Les habitants du Val Tournanche manifestent maintenant de meilleurs sentiments à l’égard des étrangers. En 1862, leur jalousie contre leurs voisins de la Suisse était quelquefois extrêmement amusante, quoique embarrassante.
  2. Les hauteurs indiquées sur le dessin du Cervin qui accompagne le chap. IV, sur la section géologique de cette montagne placée dans l’Appendice, et celles qui sont données dans le courant du livre, ont été relevées, à l’aide du baromètre à mercure, par M. F. Giordauo, en 1866 et en 1868. Je me suis hasardé à les contredire, seulement à l’égard de la seconde plate-forme de la tente, à laquelle j’ai donné une altitude moindre que celle qu’il lui attribue.