Page:Whymper - Escalades dans les Alpes.djvu/18

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
10
ESCALADES DANS LES ALPES.

m’invita à entrer. Si le poids de mon sac le surprit, je m’étonnai, moi, de la dureté de son pain. Les moines du Saint-Bernard ne préparent point en hiver, comme on l’a dit, les grillades qu’ils offrent aux touristes l’été suivant ; l’hiver est l’époque de l’année pendant laquelle ils sont le plus occupés. Ce qui est vrai, c’est que leur généreuse hospitalité les a souvent privés du combustible nécessaire pour chauffer leur chapelle pendant l’hiver[1].

Au lieu de descendre à Aoste, je remontai le Val Pellina, afin de dessiner la Dent d’Hérens. La nuit était venue lorsque j’atteignis Biona, et il me fallut frapper bien fort et bien longtemps à la porte de la maison du curé, avant de la voir s’ouvrir. Une vieille femme, à la voix plaintive, ayant un goître énorme, répondait enfin à mon appel, en me demandant aigrement ce que je voulais ; mais elle s’adoucit et prit un air presque aimable à la vue d’une pièce de cinq francs, quand je sollicitai en échange un lit et un souper.

D’après les indications que je possédais, un passage devait exister entre Prarayen, à l’extrémité supérieure du Val Pellina, et le Breuil[2] dans le Val Tornanche. La vieille femme, enfin convaincue de ma respectabilily, s’occupa de me chercher un guide. Elle ne tarda pas, en effet, à me présenter un indigène, pittoresquement coiffé d’une espèce de chapeau tyrolien, vêtu d’une veste de tricot, d’un gilet rouge et d’un pantalon indigo : il s’engageait à me conduire au village du Val Tornanche. Le lendemain matin, nous partîmes de bonne heure et nous atteignîmes le col sans difficultés. Je fis là ma première expérience sur la manière de gravir les longues pentes de neige très-raides. Comme tous les débutants, je tâchais de m’aider en m’appuyant sur mon bâton que je tenais en dehors, au lieu de le placer entre moi et la pente pour m’en faire une sorte de

  1. La température du Saint-Bernard pendant l’hiver descend fréquemment à 29 degrés au-dessous de zéro. Janvier est le mois le plus froid. Voyez les Matériaux pour l’étude des glaciers, par Dollfus-Ausset, vol. VI et VII.
  2. Il n’existait aucun passage entre Prarayen et le Breuil. Voyez la note du chapitre VI.