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ESCALADES DANS LES ALPES.

héroïque et de la piété naïve de leurs disciples durera aussi longtemps que l’histoire.

Cette région contient les montagnes les plus élevées de la France, le groupe du Mont-Blanc excepté, et quelques-uns de ses plus beaux paysages. Elle n’a peut-être pas les beautés de la Suisse, mais elle possède un charme qui lui est particulier ; ses rochers escarpés, ses torrents, ses gorges sont sans rivales ; ses profondes et sauvages vallées présentent des tableaux d’une telle grandeur qu’elle touche au sublime, et, dans nulle autre contrée, les montagnes n’ont des formes plus hardies. Ses nombreuses vallées rivalisent l’une avec l’autre pour la singularité de leur caractère et la dissemblance de leur climat. Plusieurs d’entre elles sont si étroites[1] et si profondes que les rayons du soleil ne peuvent jamais y pénétrer. Dans d’autres on se croirait aux antipodes ; car la température y ressemble plus à celle des plaines de l’Italie qu’à celle des Alpes françaises. Cette grande différence de climats a un effet marqué sur la flore de ces vallées ; quelques-unes sont complétement stériles ; les pierres y prennent la place des arbres ; la vase et les débris y remplacent les plantes et les fleurs ; d’autres présentent, sur un espace de quelques kilomètres, la vigne, le pommier, le poirier, le cerisier, le bouleau, l’aune, le noyer, le frêne, le mélèze, le pin, alternant avec des champs de seigle, d’orge, d’avoine, de fèves et de pommes de terre.

Les vallées, pour la plupart courtes et irrégulières, ne paraissent pas disposées d’après un plan déterminé, ainsi que cela arrive fréquemment sur d’autres points du globe ; elles ne sont, en effet, ni à angles droits, ni parallèles avec les sommets les plus élevés ; mais elles semblent errer au hasard, suivant une direction pendant quelques kilomètres, puis se repliant en arrière pour reprendre parfois leur direction première. Aussi les

  1. La profondeur de ces vallées est telle que non-seulement le soleil n’y pénètre que pendant quelques heures par jour durant la plus grande partie de l’année, mais dans quelques endroits — par exemple à Villard-d’Arène et à Andrieux, — on ne l’aperçoit pas du tout pendant une centaine de jours. (Hautes-Alpes, par Ladoucette.)