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ESCALADES DANS LES ALPES.

Mon compagnon demanda alors du ton le plus aimable si continuer n’était pas ce qu’on appelle vulgairement : « tenter la Providence. » Sur ma réponse affirmative, il reprit : « Si nous retournions sur nos pas ? » — « Mais très-volontiers. » — « Demandez aux guides ce qu’ils en pensent ? » — Ils n’élevèrent pas la moindre objection ; nous redescendîmes donc et nous passâmes la nuit au Montanvert.

En deçà de l’arête le vent cessait de souffler. À 30 mètres au-dessous du vent, sur la pente qui fait face au glacier du Chardonnet, nous étions rôtis ; on ne sentait pas la moindre brise. De ce côté, rien ne pouvait faire supposer qu’un ouragan épouvantable faisait rage à 30 mètres plus haut ; le ciel sans nuages était l’image du calme le plus parfait ; tandis que, du côté du vent, le seul indice du trouble de l’atmosphère était le tourbillonnement continu de la neige sur les crêtes des arêtes.

Nous partîmes donc le 14, avec Croz, Payot et Charlet, pour achever l’entreprise si brusquement interrompue ; comme la première fois, nous passâmes la nuit aux chalets de Lognan. Le 15, vers midi, nous arrivâmes au sommet de l’Aiguille ; et nous vîmes que, lors de notre première tentative, nous n’en étions qu’à 30 mètres quand nous avions battu en retraite.

Reilly triomphait. En 1863, il avait réuni sur ce point deux montagnes, hautes chacune de plus de 3950 mètres, indiquées sur la carte comme étant distantes l’une de l’autre de 2 kilomètres. Longtemps avant notre ascension, il avait acquis la certitude que la Pointe des Plines, sommet imaginaire qui avait figuré sur d’autres cartes comme une montagne distincte, n’était autre que l’Aiguille d’Argentière ; il l’avait en conséquence fait disparaître du dessin préliminaire de sa carte. Nous constatâmes de visu qu’il avait eu raison, car la Pointe des Plines n’existait pas.

Je ne sais ce que je dois admirer le plus ou de la fidélité parfaite de la carte de M. Reilly, ou de l’intelligence infatigable avec laquelle il en réunit les matériaux. Quand on jouit d’une bonne santé, il peut être amusant de monter au sommet d’un pic (comme le Mont-Dolent, par exemple), en grimpant à cali-