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ESCALADES DANS LES ALPES.

Si le lecteur veut bien jeter un regard sur la carte du Mont-Rose, il verra que, après avoir quitté les pentes de l’Alpe Arpitetta, nous avions suivi la direction du sud-est sur le glacier de Moming. À peine eûmes-nous atteint la glace que nous fîmes halte pour arrêter notre plan d’attaque. Les rochers du Schallhorn, par lesquels Almer voulait monter, étaient alors pour nous au sud-est. La direction que Croz proposait de suivre, au sud-ouest des rochers, nous conduisait sur le versant méridional d’un glacier très-abrupt et très-crevassé[1]. La partie de ce glacier qu’il voulait traverser était en un sens praticable. Il y renonça parce qu’il eût fallu tailler trop de pas dans la glace. Mais la partie du même glacier comprise entre la route qu’il se proposait de suivre et les rochers d’Almer était absolument impraticable. Ce glacier passait en effet sur un promontoire de rochers qui le divisait en deux parties. Ces deux parties (supérieure et inférieure) étaient séparées par une longue pente de glace qui avait été formée des débris tombés du glacier et qui, à sa base, était entourée d’une immense quantité de blocs énormes précipités par les avalanches. Nous contournâmes ces blocs avec les plus grandes précautions. Quand Croz fit halte, nous les avions laissés bien au-dessous de nous, et nous nous étions élevés à la moitié de la grande pente conduisant à la base du mur de glace qui la dominait.

Cette pente de glace, il s’agissait de la traverser et Croz y taillait des pas ; il exécutait un mouvement tournant en face d’un ennemi qui pouvait à chaque instant nous attaquer. Le péril était manifeste ; c’était un acte de folie extravagante, un excès de témérité. Il eût fallu sonner la retraite[2].

« Je n’éprouve pas la moindre honte à l’avouer, écrit Moore dans son journal, j’eus le cœur sur les lèvres tout le temps que dura la traversée de cette pente, jamais je ne me suis senti soulagé d’une plus lourde anxiété que lorsque nous fûmes en sûreté sur les rochers, après vingt longues, bien longues minutes…

  1. En termes techniques, « une chute ou cascade de glace. »
  2. La responsabilité ne pesait pas sur Croz. Son rôle était de conseiller, mais non de décider.