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CHAPITRE XIII.

blable décomposition ; tous les sommets rocheux que j’ai escaladés ne sont que des amas de ruines.

Les arêtes inférieures n’offrent pas en général des formes aussi singulières que les grandes arêtes. Moins exposées, elles sont aussi moins décomposées ; aussi peut-on penser que leur dégradation annuelle est moins considérable que celle des sommités.

La dégradation des montagnes ne s’arrête pas même l’hiver, car les grandes arêtes ne sont jamais complétement recouvertes par la neige[1], et le soleil conserve de la force pendant les jours les plus froids de la mauvaise saison. L’œuvre de destruction, qui ne cesse pas un moment, devient plus considérable d’année en année. En effet, plus vastes sont les surfaces exposées à l’action incessante du soleil et de la gelée, plus grands sont les dégâts qu’elles subissent.

Les chutes de rochers qui ont constamment lieu sur toutes les montagnes rocheuses sont dues à ces causes ; personne n’en doute : mais, pour bien s’en convaincre, il faut voir par ses propres yeux les carrières d’où ces matériaux ont été extraits, et assister, pour ainsi dire, à la formation de ces avalanches de pierres.

La chaleur du soleil détache de petites pierres ou de petits fragments de rochers qui s’étaient arrêtés sur une pente ou une corniche où ils avaient été soudés ensemble par la neige ou par la glace.

  1. Voici ce que j’écrivais à ce sujet dans l’Athenæum du 29 juillet 1863 : « Cette action de la gelée ne cesse pas pendant l’hiver, d’autant plus que la forme du Cervin s’oppose à ce qu’il soit jamais entièrement couvert de neige. Certaines montagnes, dont les flancs sont moins escarpés, peuvent être totalement couvertes de neige pendant l’hiver ; si leur hauteur n’augmente pas, l’action destructive de la dégradation est au moins suspendue… Nous devons donc en conclure que : les pics couverts de neige, comme le Mont-Blanc, augmenteront peut-être d’altitude par la suite des siècles, tandis que le Cervin décroîtra de plus en plus. » Ces remarques ont été confirmées.

    Pendant l’hiver de 1865, M. Dollfus-Ausset avait laissé plusieurs individus dans son observatoire élevé au sommet du col Saint-Théodule : ils remarquèrent que la neige fondait en partie sur les rochers voisins du 19 au 27 décembre 1865 inclusivement, sauf le 24 et le 25 ; le 22, ils consignèrent dans leur Journal : « Nous avons vu au Cervin que la neige fondait sur les rochers et qu’il s’en écoulait de l’eau. » (Matériaux pour l’étude des glaciers, tome vii, part. ii, p. 77 ; 1869.)