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ESCALADES DANS LES ALPES.

l’astuce d’un Hérode à la cruauté d’un Pélissier ; à l’aide de cordes il fit descendre ses soldats devant la caverne, à l’entrée de laquelle ils allumèrent des tas de fagots. La plus grande partie des Vaudois qui s’y étaient réfugiés périrent étouffés ; ceux qui échappèrent aux flammes de l’incendie furent massacrés. On extermina impitoyablement les Vaudois sans distinction d’âge ni de sexe. Plus de trois mille personnes, assure-t-on, périrent dans cette effroyable boucherie. Les résultats de trois cent cinquante ans de paix furent anéantis d’un seul coup, et la vallée se trouva complétement dépeuplée. Louis XII la fit repeupler. Trois siècles et demi se sont écoulés depuis. Contemplez le résultat obtenu : une race de singes[1].

Après nous être reposés près d’une petite source, nous reprîmes notre marche en avant jusqu’à ce que nous fussions presque arrivés au pied du glacier de Sapenière ; là Sémiond nous fit tourner à droite pour gravir les pentes de la montagne. Nous grimpâmes donc pendant une demi-heure à travers des pins épars et des débris de roches éboulées. La nuit approchait rapidement ; il devenait temps de chercher un abri. En trouver un n’était pas difficile, car nous étions alors au milieu d’un vrai chaos de rochers. Quand nous eûmes choisi un bloc énorme qui avait plus de 15 mètres de longueur sur 6 mètres de hauteur, nous nettoyâmes un peu notre chambre à coucher future, puis chacun alla à la récolte du bois qui était nécessaire pour faire du feu.

Ce feu de bivouac est pour moi un agréable souvenir. Le petit baril de vin avait échappé à tous les périls ; il fut mis en perce, et les Français semblèrent puiser quelques consolations

  1. La commune de Vallouise contient à présent environ 3400 habitants. Cette population de crétins a été parfaitement décrite par M. Élisée Reclus dans le Tour du monde, 1860 (IIe vol., p. 414). Voici ce qu’il dit : « Abondamment pourvus de goîtres majestueux, qui ne font que grossir avec l’âge, ils atteignent dès leur enfance le plus complet développement possible de leur intelligence, et, semblables sous ce rapport aux orangs-outangs, qui n’ont plus rien à acquérir dès qu’ils sont arrivés à l’âge de trois ans, à cinq ans les petits crétins ont déjà l’air placide et mûr qu’ils doivent garder toute leur vie… Ils portent culottes et, comme des adultes, habit à queue et large chapeau noir. »