Page:Whymper - Escalades dans les Alpes.djvu/37

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
29
CHAPITRE II.

dans l’exécrable liquide qu’il contenait. Reynaud chanta des fragments de chansons françaises, et chacun fournit sa part de plaisanteries, d’histoires et de vers. Le temps était superbe, et tout nous promettait une bonne journée pour le lendemain. La joie de mes compagnons fut à son comble quand j’eus lancé dans les flammes un paquet de feu de Bengale rouge. Après avoir sifflé et crépité un instant, il répandit une lueur éblouissante. L’effet de cette courte illumination fut magnifique ; puis les montagnes d’alentour, éclairées pendant une seconde, retombèrent dans leur solennelle obscurité. Chacun de nous s’abandonna à son tour au sommeil, et je finis par m’introduire dans ma couverture-sac. Cette précaution était à peine nécessaire, car la température minima était au-dessus de 4°44 centigrades, bien que nous fussions à une hauteur d’au moins 2130 mètres.

À trois heures nous étions réveillés, mais nous ne partîmes qu’à quatre heures et demie. Giraud n’avait pas été engagé pour aller au delà de ce rocher ; toutefois, comme il en manifesta le désir, il obtint la permission de nous accompagner. Gravissant les pentes avec vigueur, nous atteignîmes bientôt la limite des arbres, puis nous dûmes grimper pendant deux heures à travers des roches éboulées. À sept heures moins un quart, nous avions atteint un étroit glacier, le Clos-de-l’Homme, qui descend du plateau situé au sommet de la montagne, et nous étions bien près du glacier de Sapenière.

Nous nous efforçâmes d’abord d’incliner à droite dans l’espoir de n’être pas obligés de traverser le Clos-de-l’Homme ; toutefois, contraints de revenir à chaque instant sur nos pas, nous reconnûmes qu’il était nécessaire de nous y aventurer. Le vieux Sémiond, qui avait une antipathie remarquable pour les glaciers, fit de son côté de nombreuses explorations pour tâcher d’éviter cette inquiétante traversée ; mais Reynaud et moi nous préférions la tenter, et Giraud ne voulut pas nous quitter. Le glacier était étroit (on pouvait jeter une pierre d’un bord à l’autre), et il nous fut facile d’en escalader le côté ; mais le centre formait un dôme escarpé où nous dûmes tailler