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CHAPITRE XX.

il me suppliait de renoncer au Cervin. Les deux guides m’en parlaient avec une entière sincérité. Persuadés que cette ascension était impossible, ils souhaitaient, autant pour leur réputation que par intérêt pour moi, de ne pas s’engager dans une entreprise qui, suivant eux, ne pouvait aboutir qu’à une perte sèche de temps et d’argent.

Je les envoyai directement au Breuil, et je descendis à Val Tournanche pour y chercher Jean-Antoine Carrel. Il était absent. Les gens du village me dirent qu’il était parti le 6 avec trois de ses camarades, afin de tenter l’ascension du Cervin pour leur propre compte, en suivant l’ancien chemin. Ils n’auront pas beau temps, pensai-je en regardant les nuages qui enveloppaient les montagnes. Je remontai donc au Breuil, comptant bien les y trouver. Je ne m’étais pas trompé. À mi-chemin, j’aperçus un groupe d’hommes rassemblés autour d’un chalet, de l’autre côté de la vallée ; je traversai aussitôt le torrent dont on m’avait parlé, c’était en effet l’expédition. Elle se composait de Jean-Antoine et de César, avec C. E. Gorret et J. J. Maquignaz. Le temps qui s’était, disaient-ils, tout à fait gâté, leur avait à peine permis d’atteindre le glacier du Lion, et les avait forcés à battre en retraite.

J’expliquai la situation à Carrel, et je lui proposai de m’accompagner avec César et un autre guide. Nous traverserions le col de Saint-Théodule au clair de lune, dans la nuit du 9, et le 10 nous irions dresser la tente aussi haut que possible sur le versant oriental. Mais il ne se souciait pas d’abandonner l’ancienne route, et il me pressa de l’essayer encore une fois. Je lui promis de le faire dans le cas où la nouvelle ne serait pas praticable. Il se montra satisfait, et accepta ma proposition. Je remontai alors jusqu’au Breuil, où je congédiai, à mon grand regret, Almer et Biener, car je n’ai jamais rencontré de guides plus fidèles et plus complaisants. Le lendemain, ils retournèrent à Zermatt[1].

  1. Nous avions gravi plus de 30 000 mètres et descendu 28 400 mètres pendant les 18 journées précédentes (j’en excepte les dimanches et les autres jours de chômage).