Page:Whymper - Escalades dans les Alpes.djvu/387

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
379
CHAPITRE XX.

trouvais inaccessible, de revenir au Breuil avant le retour des guides ; bref, comme l’accès de la montagne ne pouvait m’être fermé, il me restait la chance de partir en même temps que ces messieurs, et d’atteindre la cime avant eux.

Il fallait donc tout d’abord se rendre à Zermatt. C’était plus facile à dire qu’à faire. Les sept guides partis pour la montagne étaient les meilleurs guides de toute la vallée, et il ne se trouvait au Breuil aucun des guides muletiers ordinaires. Il me fallait au moins deux hommes pour porter mon bagage, et je ne pus pas même trouver un porteur. Je courus partout, j’envoyai dans toutes les directions ; ce fut en vain. L’un était avec Carrel, l’autre était malade, un troisième était à Châtillon, ainsi de suite. Je ne pus même décider le petit bossu Meynet à m’accompagner ; il était à la période la plus importante d’une grande fabrication de fromages. Je me vis donc dans la position d’un général sans armée ; mes plans de campagne étaient superbes, mais je n’avais personne pour les exécuter. Cela ne m’inquiétait pas beaucoup. Tant que le temps ne permettait pas le passage du col de Saint-Théodule, aucun individu ne pouvait monter sur le Cervin ; dès que le temps redeviendrait beau, il arriverait des guides par le col Saint-Théodule.

Le mardi 11, en effet, on signala vers le milieu du jour l’approche d’une troupe assez nombreuse de touristes, arrivant de Zermatt ; un jeune Anglais, vif et agile, la précédait avec l’un des fils du vieux Pierre Taugwalder[1]. Je courus aussitôt vers ce gentleman pour lui demander s’il pourrait me céder Taugwalder. Il me répondit qu’il ne le pouvait pas, parce qu’il devait retourner à Zermatt le lendemain matin, mais que le jeune guide, n’ayant rien à porter, pourrait très-bien prendre mon bagage. La conversation s’engagea entre nous. Je lui contai mon histoire, et j’appris que ce jeune Anglais était lord Francis Douglas, dont le dernier exploit, l’ascension du Gabelhorn, avait excité

  1. Je désigne toujours le père Pierre Taugwalder, sous le nom du vieux Pierre, pour le distinguer de son fils, le jeune Pierre. En 1863, le père avait environ quarante-cinq ans.