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ESCALADES DANS LES ALPES.

nous dérobait la vue du versant oriental de la montagne. Alors seulement nous embrassâmes d’un regard cette grande arête qui se dressait devant nous comme un gigantesque escalier naturel haut de près de mille mètres. Elle n’était pas partout d’un accès également commode, mais enfin nous ne rencontrâmes aucune difficulté assez sérieuse pour nous arrêter ; quand un obstacle insurmontable se présentait de front, il nous était toujours possible de le tourner en inclinant soit à droite soit à gauche. Pendant la plus grande partie de cette première escalade, il ne nous fut pas nécessaire de recourir à la corde ; Hudson et moi nous marchâmes, à tour de rôle, en tête de la colonne. À 6 heures 20 minutes du matin, nous étions arrivés à une hauteur de 3900 mètres ; nous fîmes une première halte d’une demi-heure, puis nous continuâmes à monter sans nous arrêter jusqu’à 9 heures 55 minutes ; nous fîmes alors une seconde halte de cinquante minutes, à une hauteur de 4270 mètres.

Deux fois nous dûmes passer sur l’arête du nord-est, que nous suivîmes pendant une courte distance, mais sans rien gagner au change, car elle était beaucoup moins solide, plus escarpée et toujours plus difficile à gravir que la face orientale[1]. Cependant, craignant les avalanches de pierres, nous eûmes soin de ne pas trop nous en éloigner[2].

  1. Voyez aux pages 290 et 291 les remarques sur les arêtes et les faces du Cervin. Il n’y a guère à choisir entre les arêtes qui conduisent au sommet du Cervin, soit du Hörnli (arête du nord-est), soit du col du Lion (arête du sud-ouest). Ces deux arêtes sont tellement ébréchées et dentelées que tout montagnard expérimenté les éviterait avec soin s’il pouvait trouver une autre route. Du côté de Zermatt, la face orientale offre une autre route, ou même plusieurs autres routes, car on peut monter presque partout ; du côté du Breuil, l’arête seule, généralement parlant, peut être suivie, et, lorsqu’elle devient impraticable, le grimpeur, forcé de s’en écarter à droite ou à gauche, rencontre les difficultés les plus sérieuses.
  2. Il ne tomba qu’un très-petit nombre de pierres, pendant les deux jours que je restai sur la montagne, et aucune ne tomba près de nous ; d’autres touristes qui ont suivi la même route n’ont pas été aussi heureux, mais peut-être n’avaient-ils pas pris les mêmes précautions. Il est à remarquer que la moraine latérale de la rive gauche du glacier de Furggen est à peine plus large que celle de la rive droite, bien qu’elle reçoive tous les débris tombés des 4000 mètres de rochers à pic qui forment le versant oriental du Cervin, tandis