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APPENDICE.

Il faut certainement prendre les plus grandes précautions, mais l’escalade n’est pas tellement difficile qu’elle absorbe complètement l’attention ; on peut donc jouir tout à la fois, presque à son aise, d’une belle grimpade et d’un paysage grandiose qui n’a peut-être pas d’égal dans le reste des Alpes.

C’est presque à l’extrémité de cette arête, près de l’endroit où elle se relie au dernier pic, que l’expédition du professeur Tyndall, arrêtée par une crevasse, dut battre en retraite en 1862[1]. De ce point, s’élance, à une hauteur verticale de 228 mètres, la tour principale du Cervin, abrupte, splendide, et en apparence inaccessible. L’élévation m’en parut même plus considérable encore ; car je me souviens de l’avoir contemplée de l’extrémité de l’arête, et d’avoir apprécié sa hauteur à plus de 300 mètres au-dessus de moi.

Quand les guides italiens exécutèrent leur belle ascension, ils suivirent l’arête de l’Épaule jusqu’au pic principal, franchirent la crevasse mentionnée plus haut (page 143), escaladèrent le terrible versant du nord-ouest (décrit par M. Whymper pp. 387-391), puis essayèrent de traverser ce versant, pour gagner l’arête de Z’Mutt[2]. Cette traversée fut une entreprise aussi difficile que dangereuse. Je vis de fort près l’endroit où ils passèrent, et j’eus peine à comprendre comment des êtres humains avaient pu grimper sur des rochers si abrupts et si perfides. Arrivés à moitié chemin, ils rencontrèrent de telles difficultés, la chute des pierres les menaçait d’un si grand danger, qu’ils montèrent alors en droite ligne, espérant trouver un chemin plus praticable ; ils y réussirent en partie, en découvrant bientôt une petite saillie, formée par une anfractuosité du rocher, qui s’étendait horizontalement sur le versant nord-ouest de la montagne jusqu’à une petite distance au-dessous du sommet. Longeant cette saillie, les Italiens se trouvèrent près de l’arête du Z’Mutt, dont les séparait toujours une barrière infranchissable ; pour tourner cet obstacle, il fallait descendre un couloir perpendiculaire. Carrel et Bich se firent descendre au bas de ce couloir, en haut duquel durent rester leurs deux compagnons pour les remonter au retour. L’arête du Z’Mutt atteinte dès lors sans difficulté, Carrel et Bich la suivirent pour gagner le sommet de la montagne. Au retour, les Italiens suivirent la saillie mentionnée ci-dessus, pour traverser le versant du nord-ouest, et ils descendirent à l’endroit où l’arête de l’Épaule se rattache au pic principal par une sorte de crête escarpée située entre le versant du nord-ouest et le versant méridional. Nous suivîmes ce chemin à la montée comme à la descente, lors de l’ascension que je fis en 1867. Je trouvai la saillie difficile et même très-dangereuse en certains endroits, je ne me souciais guère d’y retourner ; cependant elle n’offre ni les mêmes difficultés ni les mêmes dangers que les pentes de rochers nues et impitoyables traversées par les Italiens lors de leur première ascension.

J.-Antoine Carrel et ses camarades eurent la gloire de monter les premiers au Cervin par le versant italien. Bennen conduisit son expédition avec autant de courage que d’adresse jusqu’à près de 228 mètres au-dessous du sommet.

  1. V. pp. 132-137, 143-144.
  2. C’est une arête qui descend vers le glacier de Z’Mutt.