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ESCALADES DANS LES ALPES.

Les infortunes de Reynaud s’aggravèrent d’un mal de dents qui lui arrachait des cris de douleur, et Macdonald s’efforça de son mieux de fermer les yeux.

Les nuits les plus longues ont une fin ; la nôtre se passa comme tant d’autres. Nous descendîmes en une heure et un quart à notre rocher, où nous trouvâmes notre drôle fort surpris de notre absence. À l’en croire, il avait allumé un feu gigantesque pour nous éclairer à la descente et poussé des cris d’appel pendant toute la nuit. Nous n’avions ni aperçu son feu ni entendu ses cris. Nous ressemblions, nous disait-il, à une troupe de revenants. Quoi d’étonnant, c’était la quatrième nuit que nous passions en plein air.

Nous nous restaurâmes avec nos provisions et chacun de nous accomplit quelques ablutions fort nécessaires. Les habitants de ces vallées sont toujours infestés par certaines petites créatures dont l’agilité égale le nombre et la voracité. Il est dangereux de les approcher de trop près, et il faut avoir soin d’étudier le vent, afin de les accoster du côté où il souffle. En dépit de toutes ces précautions, mes infortunés compagnons et moi nous étions menacés d’être en quelques instants dévorés tout vifs. Nous n’espérions d’ailleurs qu’une trêve temporaire à nos tortures, car l’intérieur des auberges fourmille, comme la peau des indigènes, de cet insupportable échantillon de la nature vivante.

À en croire la tradition, un voyageur, trop candide, fut transporté hors de son lit par un essaim de ces bourreaux, tous également affamés ! Mais ce fait mérite confirmation. Encore un mot et j’en aurai fini avec ce misérable sujet. Au retour de nos ablutions, nous trouvâmes la conversation engagée entre les Français. « Ah ! » disait le vieux Sémiond, « quant aux puces, je ne prétends différer de personne, moi, j’en ai. » Cette fois du moins il disait certainement la vérité.

Nous descendîmes à notre aise à Ville, ou pendant plusieurs jours nous menâmes une vie de luxe et d’abondance, faisant d’innombrables parties de boules avec les indigènes qui nous battaient toujours. À la fin il fallut se séparer ; je me