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DE DORIAN GRAY

cemen à cheval. Les bushrangers les attaqueraient trois fois et seraient battus avec un grand carnage… Ou bien, non, il n’irait pas du tout aux placers. C’étaient de vilains endroits où les hommes s’enivrent et se tuent dans les bars, et parlent si mal ! Il serait un superbe éleveur, et un soir qu’il rentrerait chez lui dans sa voiture, il rencontrerait la belle héritière qu’un voleur serait en train d’enlever sur un cheval noir ; il lui donnerait la chasse et la sauverait. Elle deviendrait sûrement amoureuse de lui ; ils se marieraient et reviendraient à Londres où ils habiteraient une maison magnifique. Oui, il aurait des aventures charmantes. Mais il faudrait qu’il se conduisît bien, n’usât point sa santé et ne dépensât pas follement son argent. Elle n’avait qu’un an de plus que lui, mais elle connaissait tant la vie ! Il faudrait aussi qu’il lui écrivît à chaque courrier et qu’il dît ses prières tous les soirs avant de se coucher. Dieu était très bon et veillerait sur lui. Elle prierait aussi pour lui, et dans quelques années il reviendrait parfaitement riche et heureux.

Le jeune homme l’écoutait avec maussaderie, et ne répondait rien. Il était plein de la tristesse de quitter son home.

Encore n’était-ce pas tout cela qui le rendait soucieux et morose. Tout inexpérimenté qu’il fut, il avait un vif sentiment des dangers de la position de Sibyl. Le jeune dandy qui lui fait la cour ne lui disait rien de bon. C’était un gentleman et il le détestait pour cela, par un curieux instinct de race dont il ne pouvait lui-même se rendre compte, et qui pour cette raison le dominait d’autant plus. Il connaissait aussi la futilité et la vanité de sa mère et il y voyait un péril pour Sibyl et pour le bonheur de celle-ci. Les enfants commencent par aimer