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DE DORIAN GRAY

merveilleux du monde. Un jour vous le rencontrerez quand vous reviendrez d’Australie. Vous l’aimerez beaucoup. Tout le monde l’aime, et moi… je l’adore ! Je voudrais que vous puissiez venir au théâtre ce soir. Il y sera et je jouerai Juliette. Oh ! comme je jouerai ! Pensez donc, Jim ! être amoureuse et jouer Juliette ! Et le voir assis en face de moi ! Jouer pour son seul plaisir ! J’ai peur d’effrayer le public, de l’effrayer ou de le subjuguer. Être amoureuse, c’est se surpasser. Ce pauvre M. Isaacs criera au génie à tous ses fainéants du bar. Il me prêchait comme un dogme ; ce soir, il m’annoncera comme une révélation, je le sens. Et c’est son œuvre à lui seul, au Prince Charmant, mon merveilleux amoureux, mon Dieu de grâces. Mais je suis pauvre auprès de lui. Pauvre ? Qu’est-ce que ça fait ? Quand la pauvreté entre sournoisement par la porte, l’amour s’introduit par la fenêtre. On devrait refaire nos proverbes. Ils ont été inventés en hiver et maintenant voici l’été, c’est le printemps pour moi, je pense, une vraie ronde de fleurs dans le ciel bleu.

— C’est un gentleman, dit le frère revêche.

— Un prince ! cria-t-elle musicalement, que voulez-vous de plus ?

— Il veut faire de vous une esclave !

— Je frémis à l’idée d’être libre !

— Il faut vous méfier de lui.

— Quand on le voit, on l’estime ; quand on le connaît, on le croit.

— Sibyl, vous êtes folle !

Elle se mit à rire et lui prit le bras.

— Cher vieux Jim, vous parlez comme si vous étiez centenaire. Un jour, vous serez amoureux vous-même, alors vous saurez ce que c’est. N’ayez pas l’air si maus-