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DE DORIAN GRAY

votre portrait ? Laissez-moi le regarder. C’est la meilleure chose que j’aie jamais faite. Ôtez ce paravent, Dorian. C’est vraiment désobligeant de la part de votre domestique de cacher ainsi mon œuvre. Il me semblait que quelque chose était changé ici quand je suis entré.

— Mon domestique n’y est pour rien, Basil. Vous n’imaginez pas que je lui laisse arranger mon appartement. Il dispose mes fleurs, quelquefois, et c’est tout. Non, j’ai fait cela moi-même. La lumière tombait trop crûment sur le portrait.

— Trop crûment, mais pas du tout, cher ami. L’exposition est admirable. Laissez-moi voir…

Et Hallward se dirigea vers le coin de la pièce. Un cri de terreur s’échappa des lèvres de Dorian Gray. Il s’élança entre le peintre et le paravent.

— Basil, dit-il, en pâlissant vous ne regarderez pas cela, je ne le veux pas.

— Ne pas regarder ma propre œuvre ! Vous n’êtes pas sérieux. Pourquoi ne la regarderais-je pas ? s’exclama Hallward en riant.

— Si vous essayez de la voir, Basil, je vous donne ma parole d’honneur que je ne vous parlerai plus de toute ma vie !… Je suis tout à fait sérieux, je ne vous offre aucune explication et il ne faut pas m’en demander. Mais, songez-y, si vous touchez au paravent, tout est fini entre nous !…

Hallward était comme foudroyé. Il regardait Dorian avec une profonde stupéfaction. Il ne l’avait jamais vu ainsi. Le jeune homme était blême de colère. Ses mains se crispaient et les pupilles de ses yeux semblaient deux flammes bleues. Un tremblement le parcourait…

— Dorian !

— Ne parlez pas !