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DE DORIAN GRAY

Simplement que vous sentiez m’admirer trop… Ce n’est pas même un compliment.

— Ce ne pouvait être un compliment. C’était une confession ; maintenant que je l’ai faite, il me semble que quelque chose de moi s’en est allé. Peut-être ne doit-on pas exprimer son adoration par des mots.

— C’était une confession très désappointante.

— Qu’attendiez-vous donc, Dorian ? Vous n’aviez rien vu d’autre dans le tableau ? Il n’y avait pas autre chose à voir…

— Non, il n’y avait rien de plus à y voir. Pourquoi le demander ? Mais il ne faut pas parler d’adoration. C’est une folie. Vous et moi sommes deux amis ; nous devons nous en tenir là…

— Il vous reste Harry ! dit le peintre tristement.

— Oh ! Harry ! s’écria l’adolescent avec un éclat de rire ; Harry passe ses journées à dire des choses incroyables et ses soirées à faire des choses invraisemblables. Tout à fait le genre de vie que j’aimerais. Mais je ne crois pas que j’irai vers Harry dans un moment d’embarras ; je viendrai à vous aussitôt, Basil.

— Vous poserez encore pour moi ?

— Impossible !

— Vous gâtez ma vie d’artiste en refusant, Dorian. Aucun homme ne rencontre deux fois son idéal ; très peu ont une seule fois cette chance.

— Je ne puis vous donner d’explications, Basil ; je ne dois plus poser pour vous. Il y a quelque chose de fatal dans un portrait. Il a sa vie propre… Je viendrai prendre le thé avec vous. Ce sera tout aussi agréable.

— Plus agréable pour vous, je le crains, murmura Hallward avec tristesse. Et maintenant au revoir. Je