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DE DORIAN GRAY

avait sa propre corruption, pire même que la corruption de la mort, une chose capable d’engendrer l’horreur et qui cependant, ne mourrait jamais. Ce que les vers sont au cadavre, ses péchés le seraient à l’image peinte sur la toile. Ils détruiraient sa beauté, et rongeraient sa grâce. Ils la souilleraient, la couvriraient de honte… Et cependant l’image durerait ; elle serait toujours vivante.

Il rougit et regretta un moment de n’avoir pas dit à Basil la véritable raison pour laquelle il désirait cacher le tableau. Basil l’eût aidé à résister à l’influence de lord Henry et aux influences encore plus empoisonnées de son propre tempérament. L’amour qu’il lui portait — car c’était réellement de l’amour — n’avait rien que de noble et d’intellectuel. Ce n’était pas cette simple admiration physique de la beauté qui naît des sens et qui meurt avec la fatigue des sens. C’était un tel amour qu’avaient connu Michel Ange, et Montaigne, et Winckelmann, et Shakespeare lui-même. Oui, Basil eût pu le sauver. Mais il était trop tard, maintenant. Le passé pouvait être anéanti. Les regrets, les reniements, ou l’oubli pourrait faire cela. Mais le futur était inévitable. Il y avait en lui des passions qui trouveraient leur terrible issue, des rêves qui projetteraient sur lui l’ombre de leur perverse réalité.

Il prit sur le lit de repos la grande draperie de soie et d’or qui le couvrait et la jetant sur son bras, passa derrière le paravent. Le portrait était-il plus affreux qu’avant ? Il lui sembla qu’il n’avait pas changé et son aversion pour lui en fut encore augmentée. Les cheveux d’or, les yeux bleus, et les roses rouges des lèvres, tout s’y trouvait. L’expression seulement était autre. Cela était horrible dans sa cruauté. En comparaison de tout ce