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DE DORIAN GRAY

d’elle, une pomme et une mandoline… Il y avait de larges rosettes vertes sur ses petits souliers pointus. Il connaissait sa vie et les étranges histoires que l’on savait de ses amants. Quelque chose de son tempérament était-il en lui ? Ses yeux ovales aux lourdes paupières semblaient curieusement le regarder.

Et ce Georges Willoughby, avec ses cheveux poudrés et ses mouches fantastiques !… Quel mauvais air il avait ! Sa face était hâlée et saturnienne, et ses lèvres sensuelles se retroussaient avec dédain. Sur ses mains jaunes et décharnées chargées de bagues, retombaient des manchettes de dentelle précieuse. Il avait été un des dandies du dix-huitième siècle et, dans sa jeunesse, l’ami de lord Ferrars.

Que penser de ce second lord Beckenham, compagnon du Prince Régent dans ses plus fâcheux jours et l’un des témoins de son mariage secret avec madame Fitz-Herbert ?… Comme il paraissait fier et beau, avec ses cheveux châtains et sa pose insolente ! Quelles passions lui avait-il transmises ? Le monde l’avait jugé infâme ; il était des orgies de Carlton House. L’étoile de la Jarretière brillait à sa poitrine…

À côté de lui était pendu le portrait de sa femme, pâle créature aux lèvres minces, vêtue de noir. Son sang, aussi, coulait en lui. Comme tout cela lui parut curieux !

Et sa mère, qui ressemblait à lady Hamilton, sa mère aux lèvres humides, rouges comme vin !… Il savait ce qu’il tenait d’elle ! Elle lui avait légué sa beauté, et sa passion pour la beauté des autres. Elle riait à lui dans une robe lâche de Bacchante ; il y avait des feuilles de vigne dans sa chevelure, un flot de pourpre coulait de la coupe qu’elle tenait. Les carnations de la peinture