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DE DORIAN GRAY

parler de choses sérieuses. Il n’y a plus rien de sérieux aujourd’hui, au moins rien ne peut plus l’être.

Hallward secoua la tête en entrant et suivit Dorian dans la bibliothèque. Un clair feu de bois brillait dans la grande cheminée. Les lampes étaient allumées et une cave à liqueurs hollandaise en argent tout ouverte, des siphons de soda et de grands verres de cristal taillé étaient disposés sur une petite table de marqueterie.

— Vous voyez que votre domestique m’avait installé comme chez moi, Dorian. Il m’a donné tout ce qu’il me fallait, y compris vos meilleures cigarettes à bouts dorés. C’est un être très hospitalier, que j’aime mieux que ce Français que vous aviez. Qu’est-il donc devenu ce Français, à propos ?

Dorian haussa les épaules.

— Je crois qu’il a épousé la femme de chambre de lady Radley et l’a établie à Paris comme couturière anglaise. L’anglomanie est très à la mode là-bas, parait-il. C’est bien idiot de la part des Français, n’est-ce pas ? Mais, après tout, ce n’était pas un mauvais domestique. Il ne m’a jamais plu, mais je n’ai jamais eu à m’en plaindre. On imagine souvent des choses absurdes. Il m’était très dévoué et sembla très peiné quand il partit. Encore un brandy-and-soda ? Préférez-vous du vin du Rhin à l’eau de seltz ? J’en prends toujours. Il y en a certainement dans la chambre à côté.

— Merci, je ne veux plus rien, dit le peintre ôtant son chapeau et son manteau et les jetant sur la valise qu’il avait déposée dans un coin. Et maintenant, cher ami, je veux vous parler sérieusement. Ne vous renfrognez pas ainsi, vous me rendez la tâche plus difficile…

— Qu’y a-t-il donc ? cria Dorian avec sa vivacité ordinaire, en se jetant sur le sofa. J’espère qu’il ne s’agit