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LE PORTRAIT

— Alan ! que c’est aimable à vous !… je vous remercie d’être venu.

— J’étais résolu à ne plus jamais mettre les pieds chez vous, Gray. Mais comme vous disiez que c’était une question de vie ou de mort…

Sa voix était dure et froide. Il parlait lentement. Il y avait une nuance de mépris dans son regard assuré et scrutateur posé sur Dorian. Il gardait ses mains dans les poches de son pardessus d’astrakan et paraissait ne pas remarquer l’accueil qui lui était fait…

— Oui, c’est une question de vie ou de mort, Alan, et pour plus d’une personne. Asseyez-vous.

Campbell prit une chaise près de la table et Dorian s’assit en face de lui. Les yeux des deux hommes se rencontrèrent. Une infinie compassion se lisait dans ceux de Dorian. Il savait que ce qu’il allait faire était affreux !…

Après un pénible silence, il se pencha sur la table et dit tranquillement, épiant l’effet de chaque mot sur le visage de celui qu’il avait fait demander :

— Alan, dans une chambre fermée à clef, tout en haut de cette maison, une chambre où nul autre que moi ne pénètre, un homme mort est assis près d’une table. Il est mort, il y a maintenant dix heures. Ne bronchez pas et ne me regardez pas ainsi… Qui est cet homme, pourquoi et comment il est mort, sont des choses qui ne vous concernent pas. Ce que vous avez à faire est ceci…

— Arrêtez, Gray !… Je ne veux rien savoir de plus… Que ce que vous venez de me dire soit vrai ou non, cela ne me regarde pas… Je refuse absolument d’être mêlé à votre vie. Gardez pour vous vos horribles secrets. Ils ne m’intéressent plus désormais…