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LE PORTRAIT

— Je vous en supplie, Alan !

— C’est inutile.

Le même regard de compassion se montra dans les yeux de Dorian Gray. Il étendit la main, prit une feuille de papier et traça quelques mots. Il relut ce billet deux fois, le plia soigneusement et le poussa sur la table. Cela fait, il se leva et alla à la fenêtre.

Campbell le regarda avec surprise, puis il prit le papier et l’ouvrit. À mesure qu’il lisait, une pâleur affreuse décomposait ses traits, il se renversa sur sa chaise. Son cœur battait à se rompre.

Après deux ou trois minutes de terrible silence, Dorian se retourna et vint se poser derrière lui, la main appuyée sur son épaule.

— Je le regrette pour vous, Alan, murmura-t-il, mais vous ne m’avez laissé aucune alternative. J’avais une lettre toute prête, la voici. Vous voyez l’adresse. Si vous ne m’aidez pas, il faudra que je l’envoie ; si vous ne m’aidez pas, je l’enverrai… Vous savez ce qui en résultera… Mais vous allez m’aider. Il est impossible que vous me refusiez maintenant. J’ai essayé de vous épargner. Vous me rendrez la justice de le reconnaître… Vous fûtes sévère, dur, offensant. Vous m’avez traité comme nul homme n’osa jamais le faire, nul homme vivant, tout au moins. J’ai tout supporté. Maintenant c’est à moi à dicter les conditions.

Campbell cacha sa tête entre ses mains ; un frisson le parcourut…

— Oui, c’est à mon tour à dicter mes conditions, Alan. Vous les connaissez. La chose est très simple. Venez, ne vous mettez pas ainsi en fièvre. Il faut que la chose soit faite. Envisagez-la et faites-la…

Un gémissement sortit des lèvres de Campbell qui se