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DE DORIAN GRAY

olive de ses longs doigts, et quand elle est en brillante toilette elle ressemble à une édition de luxe d’un mauvais roman français. Elle est vraiment extraordinaire et pleine de surprises. Son goût pour la famille est étonnant : lorsque son troisième mari mourut, ses cheveux devinrent parfaitement dorés de chagrin !

— Pouvez-vous dire, Harry !… s’écria Dorian.

— C’est une explication romantique ! s’exclama en riant l’hôtesse. Mais, vous dites son troisième mari, lord Henry… Vous ne voulez pas dire que Ferrol est le quatrième ?

— Certainement, lady Narborough.

— Je n’en crois pas un mot.

— Demandez plutôt à M. Gray, c’est un de ses plus intimes amis.

— Est-ce vrai, M. Gray ?

— Elle me l’a dit, lady Narborough, dit Dorian. Je lui ai demandé si comme Marguerite de Navarre, elle ne conservait pas leurs cœurs embaumés et pendus à sa ceinture. Elle me répondit que non, car aucun d’eux n’en avait.

— Quatre maris !… Ma parole c’est trop de zèle !…

Trop d’audace, lui ai-je dit, repartit Dorian.

— Oh ! elle est assez audacieuse, mon cher, et comment est Ferrol ?… Je ne le connais pas.

— Les maris des très belles femmes appartiennent à la classe des criminels, dit lord Henry en buvant à petits coups.

Lady Narborough le frappa de son éventail.

— Lord Henry, je ne suis pas surprise que le monde vous trouve extrêmement méchant !…

— Mais pourquoi le monde dit-il cela ? demanda lord Henry en levant la tête. Ce ne peut être que le monde futur. Ce monde-ci et moi nous sommes en excellents termes.