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LE PORTRAIT

mise quelquefois exagérée et son éducation toujours trop parfaite. C’est une figure très moderne.

— Je ne sais s’il pourra venir, Harry. Il faudra peut-être qu’il aille à Monte-Carlo avec son père.

— Ah ! quel peste que ces gens ! Tâchez donc qu’il vienne. À propos, Dorian, vous êtes parti de bien bonne heure, hier soir. Il n’était pas encore onze heures. Qu’avez-vous fait ?… Êtes-vous rentré tout droit chez vous ?

Dorian le regarda brusquement.

— Non, Harry, dit-il enfin. Je ne suis rentré chez moi que vers trois heures.

— Êtes-vous allé au club ?

— Oui, répondit-il. Puis il se mordit les lèvres… Non, je veux dire, je ne suis pas allé au club… Je me suis promené. Je ne sais plus ce que j’ai fait… Comme vous êtes indiscret, Harry ! Vous voulez toujours savoir ce qu’on fait ; moi, j’ai toujours besoin d’oublier ce que j’ai fait… Je suis rentré à deux heures et demie, si vous tenez à savoir l’heure exacte ; j’avais oublié ma clef et mon domestique a dû m’ouvrir. S’il vous faut des preuves, vous les lui demanderez.

Lord Henry haussa les épaules.

— Comme si cela m’intéressait, mon cher ami ! Montons au salon — Non, merci, M. Chapman, pas de sherry… — Il vous est arrivé quelque chose, Dorian… Dites-moi ce que c’est. Vous n’êtes pas vous-même ce soir.

— Ne vous inquiétez pas de moi, Harry, je suis irritable, nerveux. J’irai vous voir demain ou après-demain. Faites mes excuses à lady Narborough. Je ne monterai pas. Je vais rentrer. Il faut que je rentre.

— Très bien, Dorian. J’espère que je vous verrai demain au thé ; la Duchesse viendra.