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DE DORIAN GRAY

morte, ou, si elle vit encore, ne vit plus que pour donner à la rébellion son attrait, et son charme à la désobéissance ; car tous les péchés, comme les théologiens sont fatigués de nous le rappeler, sont des péchés de désobéissance. Quand cet Ange hautain, étoile du matin, tomba du ciel, ce fut en rebelle qu’il tomba !…

Endurci, concentré dans le mal, l’esprit souillé, l’âme assoiffée de révolte, Dorian Gray hâtait le pas de plus en plus… Comme il pénétrait sous une arcade sombre, il avait accoutumé souvent de prendre pour abréger son chemin vers l’endroit mal famé où il allait, il se sentit subitement saisi par derrière, et avant qu’il eût le temps de se défendre, il était violemment projeté contre le mur ; une main brutale lui étreignait la gorge !…

Il se défendit follement, et par un effort désespéré, détacha de son cou les doigts qui l’étouffaient… Il entendit le déclic d’un revolver et aperçut la lueur d’un canon poli pointé vers sa tête, et la forme obscure d’un homme court et râblé…

— Que voulez-vous ? balbutia-t-il.

— Restez tranquille ! dit l’homme. Si vous bougez, je vous tue !…

— Vous êtes fou ! Que vous ai-je fait ?

— Vous avez perdu la vie de Sibyl Vane, et Sibyl Vane était ma sœur ! Elle s’est tuée, je le sais… Mais sa mort est votre œuvre, et je jure que je vais vous tuer… Je vous ai cherché pendant des années, sans guide, sans trace. Les deux personnes qui vous connaissaient sont mortes. Je ne savais rien de vous, sauf le nom favori dont elle vous appelait. Par hasard, je l’ai entendu ce soir. Réconciliez-vous avec Dieu, car, ce soir, vous allez mourir !…

Dorian Gray faillit s’évanouir de terreur…