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LE PORTRAIT

Dorian flâna à côté de lui… L’air était vif et aromatique, les lueurs diverses qui brillaient dans le bois, les cris rauques des rabatteurs éclatant de temps à autre, les détonations aiguës des fusils qui se succédaient, l’intéressèrent et le remplirent d’un sentiment de délicieuse liberté. Il fut emporté par l’insouciance du bonheur, par l’indifférence hautaine de la joie…

Soudain, d’une petite éminence gazonnée, à vingt pas devant eux, avec ses oreilles aux pointes noires dressées, et ses longues pattes de derrière étendues, partit un lièvre. Il se lança vers un bouquet d’aulnes. Sir Geoffrey épaula son fusil, mais il y avait quelque chose de si gracieux dans les mouvements de l’animal, que cela ravit Dorian qui s’écria :

— Ne tirez pas, Geoffrey ! Laissez-le vivre !…

— Quelle sottise, Dorian ! dit son compagnon en riant, et comme le lièvre bondissait dans le fourré, il tira… On entendit deux cris, celui du lièvre blessé, ce qui est affreux, et celui d’un homme mortellement frappé, ce qui est autrement horrible !

— Mon Dieu ! J’ai atteint un rabatteur, s’exclama sir Geoffrey. Quel âne, que cet homme qui se met devant les fusils ! Cessez de tirer ! cria-t-il de toute la force de ses poumons. Un homme est blessé !…

Le garde général arriva courant, un bâton à la main.

— Où, monsieur ? cria-t-il, où est-il ?

Au même instant, le feu cessait sur toute la ligne.

— Ici, répondit furieusement sir Geoffrey, en se précipitant vers le fourré. Pourquoi ne maintenez-vous pas vos hommes en arrière ?… Vous m’avez gâté ma chasse d’aujourd’hui…

Dorian les regarda entrer dans l’aunaie, écartant les branches… Au bout d’un instant, ils en sortirent, portant