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LE PORTRAIT

N’y avait-il rien eu d’autre dans son renoncement ? Il y avait lu quelque chose de plus. Il le pensait au moins. Mais qui pouvait le dire ? Non, il n’y avait rien de plus… Par vanité, il l’avait épargnée ; par hypocrisie, il avait porté le masque de la bonté ; par curiosité, il avait essayé du renoncement… Il le reconnaissait maintenant.

Mais ce meurtre le poursuivrait-il toute sa vie ? Serait-il toujours écrasé par son passé ? Devait-il se confesser ?… Jamais !… Il n’y avait qu’une preuve à relever contre lui. Cette preuve, c’était le portrait !… Il le détruirait ! Pourquoi l’avait-il gardé tant d’années ?… Il s’était donné le plaisir de surveiller son changement et sa vieillesse. Depuis bien longtemps, il n’avait ressenti ce plaisir… Il le tenait éveillé la nuit… Quand il partait de chez lui, il était rempli de la terreur que d’autres yeux que les siens puissent le voir. Il avait apporté une tristesse mélancolique sur ses passions. Sa simple souvenance lui avait gâté bien des moments de joie. Il lui avait été comme une conscience. Oui, il avait été la Conscience… Il le détruirait !…


Il regarda autour de lui, et aperçut le poignard avec lequel il avait frappé Basil Hallward. Il l’avait nettoyé bien des fois, jusqu’à ce qu’il ne fût plus taché. Il brillait… Comme il avait tué le peintre, il tuerait l’œuvre du peintre, et tout ce qu’elle signifiait… Il tuerait le passé, et quand ce passé serait mort, il serait libre !… Il tuerait le monstrueux portrait de son âme, et privé de ses hideux avertissements, il recouvrerait la paix. Il saisit le couteau, et en frappa le tableau !…

Il y eut un grand cri, et une chute…