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LE PORTRAIT

scéniques qui deviennent si souvent comme une seconde nature chez les acteurs, elle serra sa fille entre ses bras. À ce moment, la porte s’ouvrit et un jeune garçon aux cheveux bruns hérissés entra dans la chambre. Il avait la figure pleine, de grands pieds et de grandes mains et quelque chose de brutal dans ses mouvements. Il n’avait pas la distinction de sa sœur. On eût eu peine à croire à la proche parenté qui les unissait. Mme Vane fixa les yeux sur lui et accentua son sourire. Elle élevait mentalement son fils à la dignité d’un auditoire. Elle était certaine que ce tableau devait être touchant.

— Vous devriez garder un peu de vos baisers pour moi, Sibyl, dit le jeune homme avec un grognement amical.

— Ah ! mais vous n’aimez pas qu’on vous embrasse, Jim, s’écria-t-elle ; vous êtes un vilain vieil ours.

Et elle se mit à courir dans la chambre et à le pincer.

James Vane regarda sa sœur avec tendresse.

— Je voudrais que vous veniez vous promener avec moi, Sibyl. Je crois bien que je ne reverrai plus jamais ce vilain Londres et certes je n’y tiens pas.

— Mon fils, ne dites pas d’aussi tristes choses, murmura Mme Vane, ramassant en soupirant un prétentieux costume de théâtre et en se mettant à le raccommoder. Elle était un peu désappointée de ce qu’il était arrivé trop tard pour se joindre au groupe de tout à l’heure. Il aurait augmenté le pathétique de la situation.

— Pourquoi pas, mère, je le pense.

— Vous me peinez, mon fils. J’espère que vous reviendrez d’Australie avec une belle position. Je crois qu’il n’y a aucune société dans les colonies ou rien de ce qu’on peut appeler une société, aussi quand vous aurez fait fortune, reviendrez-vous prendre votre place à Londres.