Page:William Morris - Nouvelles de Nulle Part.djvu/191

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témoin oculaire, et je vis trois petites machines que l’on roulait en avant des rangs, et je reconnus des mitrailleuses. Je criai : « Jetez-vous par terre ! Ils vont tirer ! » Mais personne ne pouvait se jeter par terre, si étroitement la foule était serrée. J’entendis un ordre bref et je me demandai où j’en serais l’instant d’après ; et alors ce fut comme si la terre s’était entr’ouverte et que l’enfer fût venu lui-même parmi nous. Inutile d’essayer de décrire la scène qui suivit. Des ruelles profondes avaient été fauchées parmi la foule épaisse ; les morts et les mourants couvraient le sol, et les gémissements, les cris de douleur, les cris d’horreur remplissaient l’air ; il semblait que le monde entier ne fût que meurtre et mort. Ceux de nos hommes armés qui étaient encore sans blessures poussèrent des cris sauvages et ouvrirent sur les soldats un feu dispersé. Un ou deux soldats tombèrent, et je vis les officiers marcher le long des rangs pour exciter les hommes à riposter ; mais ceux-ci reçurent les ordres dans un morne silence et mirent la crosse en l’air. Seul, un sergent courut à un canon ; mais un grand jeune homme, un officier, s’élança des rangs et l’écarta en le prenant par le collet ; et les soldats restaient là, immobiles, tandis que la foule, frappée de terreur, presque entièrement désarmée (car la plupart des hommes armés étaient tombés à la première décharge), s’écoulait hors de la place. On m’a dit depuis que les soldats du côté ouest avaient aussi tiré et pris part au massacre. Comment je suis sorti