Page:William Morris - Nouvelles de Nulle Part.djvu/223

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chose qui n’inquiète, et j’ai une sensation telle que si quelque chose de fâcheux devait arriver. Vous avez parlé des misères passées à notre hôte, et vous avez vécu les malheureux temps d’autrefois : cela reste dans l’air qui nous entoure et nous fait éprouver comme un désir de quelque chose que nous ne pouvons avoir.

Le vieillard lui adressa un bon sourire et dit :

— Eh bien, mon enfant, s’il en est ainsi, allez vivre dans le présent, et vous aurez bientôt secoué cette impression.

Puis il se tourna vers moi et dit :

— Vous souvenez-vous de rien de pareil, Hôte, dans le pays d’où vous venez ?

Les amoureux s’étaient éloignés et causaient tendrement ensemble, sans prendre garde à nous ; je dis alors, mais à voix basse :

— Oui, lorsque j’étais un heureux enfant, par un jour de fête ensoleillé, et que j’avais tout ce que je pouvais désirer.

— C’est cela. Vous vous souvenez que vous m’avez reproché tout à l’heure de vivre dans la seconde enfance du monde. Vous verrez que c’est un monde où l’on vit heureux ; vous y serez heureux — pour un moment.

De nouveau, sa menace à peine voilée me fut pénible et je commençais à faire des efforts pour tâcher de me rappeler comment j’étais venu parmi ces gens bizarres, lorsque le vieillard éleva la voix joyeusement :

— Et maintenant, mes enfants, emmenez votre hôte et soignez-le bien ; c’est à vous de veiller à ce qu’il ait le corps souple et l’esprit tran-