Page:William Morris - Nouvelles de Nulle Part.djvu/259

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Vous, grand-père, il y a des années que vous n’avez fait aucun gros travail, vous vous promenez et lisez des livres, et rien ne vous tracasse ; et moi je travaille dur quand cela me plaît, parce que cela me plaît, et que je crois que cela me fait du bien, cela me dérouille les muscles, me rend plus jolie à regarder, plus alerte et plus heureuse. Mais, dans ces temps passés, grand-père, il vous aurait fallu travailler dur malgré votre grand âge ; et vous auriez toujours eu à craindre d’être enfermé dans une sorte de prison en compagnie d’autres vieillards, affamé et sans distraction. Et moi j’ai vingt ans. Dans ce temps là, ç’aurait été le commencement de mon âge mûr, en peu d’années j’aurais été exténuée, amaigrie, hagarde, assiégée de tourments et de misères, et personne n’aurait pu deviner que j’avais été une belle fille.

Est ce là ce que vous aviez dans l’esprit, Hôte ? dit-elle, les larmes aux yeux à la pensée des misères passées de femmes comme elle.

— Oui, dis-je, très ému, cela, et plus. Souvent, dans mon pays, j’ai vu cette lamentable transformation d’une belle, fraîche fille de campagne en pauvre femme de campagne toute meurtrie.

Le vieillard se tut un moment, puis il se reprit, et se retrancha dans sa phrase habituelle :

— Eh bien, cela vous plaît, n’est-ce pas ?

— Oui, dit Ellen, je préfère la vie à la mort.

— Oh, c’est cela, n’est-ce pas ? dit-il. Eh bien, pour ma part, j’aime lire un bon vieux livre bien amusant, comme La foire aux