Page:William Morris - Nouvelles de Nulle Part.djvu/301

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semblait absolument heureuse. Je pouvais voir qu’elle regardait vraiment les choses et ne laissait rien lui échapper, et, à l’observer, l’idée désagréable qu’elle aurait éprouvé quelque amour pour l’alerte, adroit et beau Dick et qu’elle aurait été entraînée à nous suivre à cause de cela, disparut de mon esprit ; car, s’il en eût été ainsi, elle n’aurait jamais pu éprouver une telle émotion de joie, même devant les lieux magnifiques que nous traversions. Pendant quelque temps elle ne dit pas grand chose, puis, après le pont de Shillingford (reconstruit, mais un peu sur son ancien plan), elle me pria d’arrêter la barque, afin de pouvoir bien regarder le paysage sous l’arche gracieuse. Ensuite elle se tourna vers moi et dit :

— Je ne sais s’il faut me réjouir ou regretter de voir pour la première fois ces rives. Il est vrai que c’est un grand plaisir de voir tout cela pour la première fois ; mais si j’en avais eu le souvenir, datant d’un ou deux ans, avec quelle douceur tout cela se serait mêlé à ma vie, que je veille ou rêve ! Je suis si heureuse que Dick ait ramé lentement, pour faire durer le temps ici. Qu’est-ce que vous dites de votre première visite à ces rivages ?

Je ne pense pas qu’elle me tendît un piège, mais j’y tombai et dis :

— Ma première visite ! Ce n’est pas ma première visite, il s’en faut. Je connais bien ce fleuve ; je peux même dire que je connais chaque tournant de la Tamise depuis Hammersmith jusqu’à Cricklade.