Aller au contenu

Page:Wittgenstein - Philosophical Occasions (excerpt A Lecture on Ethics), 1993.djvu/3

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

assez mal » et supposons encore que je répondais « Je sais, je joue mal, mais je ne veux pas jouer mieux que ça », tout ce que l’autre pourrait me dire est « Ah, alors ça va ». Mais supposons que j’avais raconté à l’un d’entre vous un mensonge grotesque et que cette personne venait me voir et me disait « Vous vous comportez comme un monstre » et que moi je répondais « Je sais que je me comporte mal, mais en même temps je ne veux pas me comporter mieux que ça », pourrait-il alors répondre « Ah alors ça va » ? Certainement pas ; il répondrait « Eh bien, vous devriez vouloir vous comporter mieux ». Ici vous avez un jugement absolu de valeur, alors que le premier exemple était un de jugement relatif. L’essence de cette différence de toute évidence se situe là : Tout jugement de valeur relative est un simple constat de faits et pourrait ainsi être formulé de telle manière à perdre toute apparence de jugement de valeur : À la place de dire « C’est le bon chemin pour Granchester », j’aurais également pu dire « Ce chemin est le chemin que vous devez emprunter si vous voulez arriver à Granchester le plus rapidement possible » ; « Cet homme est un bon coureur » veut simplement dire qu’il court un certain nombre de kilomètres en un certain nombre de minutes etc. Or, ce que je veux prétendre est que, alors que l’on peut montrer que tous les jugements de valeur relative sont de simples constats de faits, aucun constat de fait ne pourrait jamais être, ou sous-entendre, un jugement de valeur absolue. Je m’explique : Supposons que l’un d’entre vous soit une personne omnisciente et que de ce fait elle connaisse tous les mouvements de tous les corps au monde, vivants ou morts, ainsi que tous les états d’esprit de tous les êtres humains qui ont jamais vécu, et supposons que cette personne écrive tout ce qu’elle sait dans un grand livre ; alors ce livre contiendrait toute la description du monde entier ; eh bien l’important est que ce livre ne contiendrait rien que l’on pourrait appeler un jugement éthique ni rien qui pourrait logiquement impliquer un tel jugement. Il contiendrait bien sûr tous les jugements relatifs de valeur et toutes les propositions scientifiques vraies et en fait toutes les propositions vraies susceptibles d’être formulées. Mais tous ces faits décrits seraient, pour ainsi dire, énoncés au même niveau [level], et de la même manière toutes les propositions se situent au même niveau. Il n’y a pas de propositions qui, dans un sens absolu, sont sublimes, importantes, ou triviales. Maintenant peut-être que certains d’entre vous seront d’accord avec moi et se rappelleront les propos de Hamlet : « Rien n’est bon ni mauvais, mais c’est la pensée qui le rend tel ».[1] Mais cela pourrait aussi nous conduire à faire un contresens. Ce que dit Hamlet semble impliquer que le bien et le mal, qui ne sont pas pour autant des qualités du monde à l’extérieur de nous, sont pourtant des attributs de nos états d’esprit. Mais ce que je veux dire est qu’un état d’esprit, dans la mesure où par cette expression on désigne quelque chose que nous pouvons décrire, n’est ni bon ni mauvais dans un sens éthique. Si par exemple dans notre livre du monde on lit la description d’un meurtre avec tous ses détails

  1. Hamlet à Rosenkranz : « C’est qu’alors le Danemark n’est point une prison pour vous ; car il n’y a de bien et de mal que selon l’opinion qu’on a. Pour moi, c’est une prison » (“Why, then, ’tis none to you, for there is nothing either good or bad, but thinking makes it so”). William Shakespeare, Le second Hamlet, Scène VII, trad. François-Victor Hugo, Œuvres complètes de Shakespeare, Pagnerre, 1865, 1, p. 258.