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Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/116

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NOS MAÎTRES

III

Par quelle forme la poésie devait-elle exprimer les émotions de ces rêves philosophiques ? Le problème était malaisé. Il se rattachait à ce problème plus général : par quelle forme la poésie peut-elle exprimer les idées qui émeuvent le poète, et en même temps suggérer les émotions définies qui accompagnent ces idées ? C’est ce problème que s’est nettement posé M. Mallarmé : et il l’a résolu, comme on pouvait l’attendre de lui, en logicien et en artiste.

D’abord il a admis cette proposition évidente, que l’émotion poétique, ainsi que toute forme élevée de l’art, devait résulter, dans l’âme du lecteur, d’un travail de création pareil à celui qu’a d’abord accompli le poète. Le lecteur n’aura la complète joie de l’art que s’il refait complètement l’œuvre de l’artiste. La Poésie ne doit donc pas être de lecture cursive et distraite ; elle doit demeurer incompréhensible à ceux qui n’ont pas assez l’amour des jouissances esthétiques pour leur dédier, patiemment, toute leur âme. Il faut en faire un temple très haut, fermé aux lâches de l’art, accueillant aux volontés bonnes. Les admirations sommaires ou les compréhensions inintelligentes, à quoi bon cela ! Elle doit être, la Poésie, éloignée, un autel sacré de la joie dernière. La musique n’est point comprise — certes — sans une éducation musicale ; pourquoi donc la Poésie devrait-elle être offerte,