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Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/149

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VILLIERS DE L’ISLE-ADAM

eux et pour eux, le seul où ils pouvaient satisfaire leur gracieux besoin d’une vie à la fois affairée et désintéressée. Les descendants des familles féodales s’asservirent à l’ordre nouveau. Ils tachèrent à oublier les qualités de leur race ; la tâche était difficile, quasiment héroïque : mais la plupart y parvinrent. Ils rentrèrent dans l’humanité commune : les voici négociants, diplomates, officiers, le tout par leur mérite personnel et dans la concurrence. Ils s’unirent à des familles bourgeoises, profitant du prestige passager que gardait leur titre. Les plus riches implorèrent du peuple roi, en échange de petits sacrifices pécuniaires, telles fonctions législatives. Mais les qualités qui, durant des siècles, avaient fait de la noblesse une race spéciale, elles étaient désormais perdues pour eux tous. Ils avaient adopté les besoins des autres hommes ; ils avaient dédaigné leur supériorité naturelle, et ils l’avaient abdiquée. Ils avaient cessé d’être princes pour devenir citoyens : plongés maintenant dans le vaste sein protecteur du Suffrage Universel.

Cependant la fin d’une race — qu’on y emploie les poudres insecticides, la guillotine, ou le bulletin de vote — ne s’accomplit jamais d’un seul coup. Lorsque les intrépides colons ont détruit, pour occuper leurs loisirs, une inoftensive race d’animaux, dans les immenses plaines du pays de Géographie, toujours quelques individus de la race abolie échappent à la destruction, cachés dans un ravin, ou bien enfuis au secret désert dès les premiers assauts. Ils ne se résignent pas, dorénavant