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Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/96

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NOS MAÎTRES

même, connaissaient seulement la mélodie : ils l’avaient faite polyphonique, mais c’était toujours la mélodie : car les divers sons, pris séparément, n’avaient pas une signification distincte : leur rapport seul valait pour l’expression. Les musiciens romantiques, accoutumés à l’aspect sensible des choses, vêtirent chaque son d’une signification distincte. Désormais quelques notes, même prises isolément, avaient un sens par elles-mêmes. Et rharmonie ramena la distinction des timbres ; on reconnut de nouveau à chaque instrument une portée émotionnelle qu’il eut seul. Les instruments furent perfectionnés, leur nombre multiplié.

Mais les romantiques ne surent point mettre ces progrès au service de l’art. Ils tentèrent de recréer des émotions non réelles dans la vie coutumière, impuissantes donc à produire une vie supérieure. Emportés par une subite fièvre géaéreuse, ils cessèrent d’être réalistes : ils perdirent ainsi le pouvoir de toucher les âmes un peu délicates. Sincères, quelques-uns le furent pourtant : Schubert et Weber, tous deux disant leurs fougueuses passions. Puis Chopin, le seul vrai poitrinaire : tel de ses cris funèbres sonne aujourd’hui un peufaux : combien pourtant il a profondément éprouvé les languides désespérances qu’il a dites ! Schumann fut un inquiet : ses romances, ses scènes d’enfants, occupent le larynx et les doigts de pâles jeunes femmes : mais combien sont rares les passages de ses œuvres où il soit parvenu à exprimer des émotions réelles, à nous faire sentir profondément la touchante peine de son àme malade !