Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/103

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voudront boire, n’est-ce pas encore celui-ci que nous accoutumerons à résister à la soif ? — Assurément. — Et s’il faut vaincre le sommeil, être capable de se coucher tard, de se lever de bonne heure et de veiller au besoin, auquel des deux l’apprendrons-nous ? — C’est encore au même. — Eh bien, auquel enseignerons-nous à s’abstenir des plaisirs de l’amour, afin qu’ils ne l’empêchent pas d’agir, s’il le faut ? — Toujours au même. — Maintenant, lequel habituerons-nous à ne pas éviter les fatigues, mais a s’y exposer de plein gré ? — Évidemment celui qui est élevé pour commander. — Eh bien, s’il est une science qui conduit à triompher de ses adversaires, auquel conviendra-t-il mieux de la posséder ? — Avant tout, par Jupiter, à celui qu’on destine au commandement ; car sans une telle science, toutes les autres ne lui serviraient de rien. — Ne te semble-t-il donc pas qu’un homme ainsi élevé sera bien moins exposé à se laisser prendre par ses ennemis que ne le sont les autres animaux ? Les uns, en effet, amorcés par la gourmandise, attirés, en dépit de leur méfiance, par le désir et la pâture, se jettent sur l’appât et sont pris ; d’autres trouvent des piéges dans l’eau où ils vont boire. — C’est parfaitement vrai, dit Aristippe. — D’autres, victimes de leur chaleur amoureuse, comme les cailles et les perdrix, entraînés à la voix de la femelle par le désir et l’espoir du plaisir, perdent l’instinct et l’idée du danger et tombent dans les filets. — C’est encore vrai. — N’es-tu pas d’avis[1] que c’est une honte pour l’homme de se placer dans la même condition que les plus stupides des animaux ? Par exemple, les adultères, qui pénètrent dans des appartements fermés, quoiqu’ils sachent que le délinquant s’expose à la menace de la loi, à tomber dans un piége, à se voir frappé d’infamie[2]. Malgré ces maux et cette honte réservés à l’adultère, malgré tous les moyens qu’ils ont de se débarrasser sans danger de leurs désirs amoureux, ils se jettent tête baissée dans le péril. N’est-ce pas là le fait d’un véritable forcené ? — C’est mon avis. — Puisque la plupart des occupations obligées de l’homme s’exercent en plein air, comme celles de la guerre, de l’agriculture et d’autres aussi importantes, ne trouves-tu pas que c’est chez bien des hommes une grande négligence de ne pas s’endurcir con-

  1. Weiske croit ce paragraphe interpolé jusqu’aux mots : « C’est mon avis. »
  2. Sur le supplice infligé aux adultères, voyez Aristophane, Nuées, v. 1079, p. 139 de la trad. de M. Artaud Lucien, Pérégrinus, 9.