Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/106

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tueuse[1] ? Or, examinons, à ce propos, comment les maîtres en usent avec de tels serviteurs. Ne corrigent-ils point leur gourmandise par la faim ? Ne les empêchent-ils pas de voler en mettant sous clef tout ce qu’ils pourraient prendre ; de fuir, en les chargeant de liens ? Leur paresse n’est-elle pas réduite au travail par les coups ? Mais plutôt, comment fais-tu toi-même, quand tu t’aperçois que tu as un domestique de cette trempe ? — Je lui inflige toutes les corrections, jusqu’à ce que je l’aie contraint à servir. Mais, Socrate, ceux qui sont élevés pour le métier de roi, que tu m’as l’air de regarder comme le honneur, en quoi diffèrent-ils de ceux qui souffrent par nécessité, s’ils se condamnent volontairement à endurer la faim, la soif, le froid, les veilles et les autres fatigues ? Pour moi, je ne vois pas où est la différence que, de mon gré ou non, un fouet me déchire la peau, ou que mon corps, que je le veuille ou non, subisse toute espèce d’assauts. N’est-ce pas être fou par-dessus le marché, que de subir volontairement ces souffrances ? — Quoi donc, Aristippe, dit Socrate, ne vois-tu pas cette différence entre les maux volontaires et ceux qui ne le sont pas, que celui qui consent à endurer la faim peut manger dès qu’il le voudra, que celui qui s’est condamné à la soif peut boire dès qu’il le veut, et de même pour tout le reste ; mais l’homme qui souffre par nécessité peut-il, quand il le veut, cesser de souffrir ? D’ailleurs, celui qui souffre volontairement se console de ses maux par une douce espérance, comme on voit les chasseurs supporter gaiement les fatigues par l’espoir d’une capture. Et encore est-ce bien peu de chose qu’une pareille récompense de ses peines ; mais ceux qui travaillent pour avoir de bons amis ou pour triompher de leurs ennemis, pour se fortifier le corps et l’âme, et, par ce moyen, bien conduire leur maison, faire du bien à leurs amis, rendre service à leur patrie ; comment ne pas croire qu’avec de tels objets devant les yeux ils supportent avec plaisir toutes les fatigues et qu’ils aient une vie heureuse, contents d’eux-mêmes, loués et enviés des autres hommes ? Il y a plus : les habitudes de mollesse et les plaisirs faciles ne peuvent, au dire des gymnastes, donner au corps une bonne complexion, ni faire pénétrer dans l’âme aucune connaissance estimable ; au contraire, les exercices qui veulent de la constance nous conduisent à de belles et bonnes

  1. Cf. Lucien, Sectes à l’encan, 12.