Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/109

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service à ce pays ; si tu souhaites que la Grèce tout entière admire ta vertu, tu dois essayer d’être utile à la Grèce ; si tu veux que la terre te donne ses fruits en abondance, tu dois cultiver la terre ; si tu préfères t’enrichir par les troupeaux, tu dois prendre soin des troupeaux ; si tu aspires à devenir grand par la guerre, si tu veux rendre libres tes amis et triompher de tes ennemis, tu dois apprendre l’art de la guerre auprès de ceux qui le possèdent, et t’exercer à mettre en pratique leurs leçons ; si tu veux acquérir la force du corps, tu dois habituer ton corps à se soumettre à l’intelligence et l’exercer par les travaux et les sueurs. »

La Perversité reprenant alors, au dire de Prodicus : « Comprends-tu, Hercule, dit-elle, combien est pénible et longue la route du bonheur que cette femme vient de te tracer ? Mais moi, c’est par un chemin facile et court que je te conduirai au bonheur. » Alors la Vertu : « Misérable, s’écrie-t-elle, quels biens possèdes-tu donc ? quels plaisirs peux-tu connaître, toi qui ne veux rien faire pour les acheter ? Tu ne laisses pas même naître le désir ; mais, rassasiée de tout avant d’avoir rien souhaité, tu manges avant la faim, tu bois avant la soif ; pour manger avec plaisir, tu es à la piste des cuisiniers ; pour boire avec plaisir, tu te procures des vins à grands frais, et, pendant l’été, tu cours cherchant de la neige de toutes parts[1] ; pour goûter un sommeil agréable, tu te procures non-seulement des couvertures moelleuses, mais des lits penchés sur des supports flexibles[2]. Car ce n’est pas la fatigue, mais l’oisiveté, qui te fait désirer le sommeil. En amour, tu provoques le besoin avant de l’éprouver, tu emploies mille artifices, et tu te sers des hommes comme de femmes. C’est ainsi, en effet, que tu formes tes amis ; la nuit, tu les dégrades, et le jour tu les endors pendant les instants les plus précieux. Immortelle, tu as été rejetée par les dieux, et les hommes de bien te méprisent : le son le plus flatteur de tous, celui d’une louange[3], n’est jamais arrivé à ton oreille, et jamais tu n’as contemplé le plus ravissant des spectacles, car jamais tu n’as contemplé une bonne action faite par toi. Qui voudrait ajouter foi à tes paroles ? qui voudrait te secourir dans le besoin ? Quel homme

  1. Sur l’emploi de la neige comme réfrigérant de l’eau, voy. Pline, Hist. nat., XIX, 29, xxix, xxxi, xxiii, et Martial, Épigr., XIV, 117.
  2. C’est le sens plausible que Schneider donne au mot ὑπόβαθρα, qui peut signifier aussi un marchepied.
  3. Voy. le mot de Thémistocle rapporté par Cicéron, pro Archia, 9.