Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/114

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sent leurs bienfaits : et pour les hommes, tu prendras garde aussi qu’instruits de ton manque de respect pour tes parents, ils ne te méprisent tous et ne te laissent privés d’amis. Car s’ils pensaient que tu fusses ingrat envers tes parents, aucun d’eux ne te croirait capable de reconnaître un bienfait. »


CHAPITRE III.


Pour réconcilier deux frères, Chéréphon et Chérécrale, Socrate expose à celui-ci les avantages de l’amitié fraternelle.


Chéréphon et Chérécrate[1], deux frères qui lui étaient connus, vivaient mal ensemble ; Socrate s’en étant aperçu, et voyant un jour Chérécrate : « Dis-moi, Chérécrate, lui demanda-t-il, ne serais-tu point par hasard de ces hommes qui croient les richesses plus avantageuses que des frères, et cela, bien que les richesses soient dépourvues de raison, tandis qu’un frère est un être raisonnable ; qu’elles aient besoin d’être défendues, tandis qu’il peut nous défendre ; qu’elles soient en nombre infini, tandis qu’il est unique ? C’est encore une chose étonnante, que l’on se croie lésé d’avoir des frères dont on ne possède pas les biens, tandis qu’on ne se plaint pas d’avoir des concitoyens qui vous fassent tort de leurs richesses ; mais plutôt l’on calcule qu’il vaut mieux habiter avec un grand nombre et posséder sans crainte des ressources suffisantes, que de vivre seul et de jouir sans sécurité de la fortune de tous les citoyens ; puis, quand il s’agit de frères, on méconnaît cette vérité. D’autre part, ceux qui peuvent acheter des esclaves en achètent pour avoir des aides dans leurs travaux ; ils s’attachent des amis, pour trouver près d’eux du secours, et ils négligent leurs frères, comme si l’on trouvait des amis parmi ses concitoyens, et que l’on n’en trouvât point parmi ses frères. Et pourtant c’est beaucoup pour inspirer l’amitié, que d’être nés des mêmes parents ; c’est beaucoup d’avoir été nourris ensemble, puisque les animaux eux-mêmes ont une sorte de tendresse pour ceux qui ont été nourris avec eux. D’ailleurs, les autres hommes respectent plus ceux qui ont

  1. Sur ces deux frères, voyez plus haut page 13, note 1.