Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/157

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quelque chose de bon, afin que, si Socrate lui disait la nourriture, la boisson, la richesse, la santé, la force, le courage, il pût lui démontrer que c’est parfois un mal. Mais Socrate, considérant que nous cherchons surtout à nous délivrer de ce qui nous fait souffrir, lui fit la meilleure réponse possible : « Me demandes-tu, lui dit-il, si je connais quelque chose de bon pour la fièvre ? — Non. — Pour l’ophthalmie ? — Non plus. — Pour la faim ? — Pas davantage. — Eh bien, si tu me demandes si je connais quelque chose de bon qui ne soit bon à rien[1], je ne le connais pas, et je n’ai pas besoin de le connaître. »

Une autre fois, Aristippe lui demandant s’il connaissait quelque chose de beau : « Oui, je connais beaucoup de choses belles. — Eh bien, sont-elles toutes semblables ? — Autant qu’il est possible, il y en a qui diffèrent essentiellement. — Et comment ce qui diffère du beau peut-il être beau ? — Par Jupiter, comme un homme habile à la course diffère d’un autre homme habile à la lutte ; comme la beauté d’un bouclier fait pour la défensive diffère complétement de celle du javelot, fait pour voler avec force et vitesse. — Ta réponse est tout à fait la même que quand je t’ai demandé si tu connaissais quelque chose de bon. — Crois-tu donc qu’autre chose est le bien, autre chose le beau ? Ne sais-tu pas que tout ce qui est beau pour une raison est bon pour la même raison ? La vertu n’est pas bonne dans une occasion et belle dans une autre ; les hommes aussi sont appelés bons et beaux de la même manière et pour les mêmes motifs : ce qui, dans le corps des hommes, fait la beauté apparente, en fait également la bonté ; enfin, tout ce qui peut être utile aux hommes est beau et bon relativement à l’usage qu’on en peut faire[2]. — Comment ! un panier à ordures est donc aussi une belle chose ? — Oui, par Jupiter, et un bouclier d’or est laid, du moment que l’un est convenablement fait pour son usage, et l’autre non. — Tu dis donc que les mêmes objets peuvent être beaux et laids ? — Oui, par Jupiter ! et ils peuvent être aussi bons et mauvais : car souvent ce qui est bon pour la faim est mauvais pour la fièvre, et ce qui est bon pour la fièvre est mauvais pour la faim ; souvent aussi ce qui est beau pour la course ne l’est pas pour la lutte, et ce qui est

  1. Ainsi, d’après Socrate, le bien est ce qui délivre d’un mal ou satisfait un besoin : le bien de la fièvre, c’est ce qui la guérit ; le bien de la faim, c’est la nourriture. Ce qui n’est le bien de rien, c’est ce qui n’est bon à rien.
  2. On voit que Socrate identifie le beau et le bien avec l’utile.