Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/182

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par Jupiter ! vu que je croyais le savoir parfaitement : car il m’eût été difficile d’apprendre autre chose, si je me fusse ignoré moi-même. — Penses-tu donc que, pour connaître quel on est, il suffit de savoir son nom, ou que, semblable à ces acquéreurs de chevaux qui ne croient pas connaître la bête qu’ils veulent acheter, avant d’avoir examiné si elle est obéissante ou rétive, vigoureuse ou faible, vite ou lente, enfin tout ce qui fait les bonnes ou les mauvaises qualités requises pour le service d’un cheval, celui-là seul qui a examiné quel il est pour le parti qu’on peut tirer d’un homme, connaît sa propre valeur ? — Il me semble d’après cela que ne pas connaître sa valeur, c’est s’ignorer soi-même. — N’est-il pas évident encore que cette connaissance de soi-même est pour l’homme la source d’une infinité de biens, tandis que l’erreur sur son propre compte l’expose à mille maux ? Car ceux qui se connaissent savent ce qui leur est utile ; ils distinguent ce qu’ils peuvent faire de ce qu’ils ne peuvent pas : or, en faisant ce dont ils sont capables, il se procurent le nécessaire et vivent heureux ; en s’abstenant de ce qui est au-dessus de leurs forces, ils ne commettent point de fautes et évitent le mauvais succès ; enfin, comme ils sont plus capables de juger les autres hommes, ils peuvent, grâce au parti qu’ils en tirent, se procurer de grands biens et s’épargner de grands maux. Au contraire, ceux qui ne se connaissent pas et qui ignorent leur valeur sont dans la même ignorance à l’égard des hommes et des affaires humaines : ils ne savent ni ce qu’il faut, ni ce qu’ils font, ni de qui ils se servent ; mais, abusés sur tout, ils laissent échapper le bien et tombent dans le malheur. Ceux qui savent ce qu’ils font arrivent à leur but ; ils acquièrent de l’honneur et de la considération ; d’un autre côté, ceux qui leur ressemblent se plaisent dans leur société ; tandis que les gens qui ne réussissent pas dans leurs affaires recherchent leurs conseils, se remettent entre leurs mains, fondent sur eux leurs espérances de succès et les chérissent en raison de tout cela, de préférence à tous les autres hommes. Mais ceux qui ne savent pas ce qu’ils font, prennent un mauvais parti, échouent dans toutes leurs entreprises, et non-seulement sont châtiés par leur mauvais succès même, mais tombent, en raison de cela, dans le mépris et le ridicule, vivant ainsi dédaignés et déconsidérés. Tu peux voir également que parmi les cités qui, ne connaissant pas leurs forces, font la guerre à des États plus puissants, les unes sont renversées et les autres échangent leur liberté pour l’es-