Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/183

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clavage. » Alors Euthydème : « Je suis tout à fait d’avis, Socrate, dit-il, qu’il faut attacher un grand prix à se connaître soi-même, sache-le bien ; mais par où commencer ces examens ? J’ai les yeux sur toi, si tu veux m’y servir de guide. — Connais-tu bien, dit Socrate, quels sont les biens et les maux ? — Oui, par Jupiter ; si je ne savais pas cela, je serais au-dessous des esclaves. — Eh bien ! fais-m’en l’énumération. — Cela n’est pas difficile : d’abord je regarde la santé comme un bien et la maladie comme un mal ; puis, si je considère les causes de ces deux états, je crois que les boissons, les aliments et les occupations sont autant de biens, quand ils procurent la santé, et autant de maux, quand ils causent la maladie. — En conséquence, la santé et la maladie seront elles-mêmes des biens, quand elles procureront des biens, et des maux quand elles causeront du mal. — Mais comment la santé pourrait-elle causer du mal et la maladie procurer du bien ? — Eh ! par Jupiter, on voit prendre part à une fâcheuse expédition, à une navigation funeste, quantité de gens robustes qui y périssent, tandis que ceux qui sont faibles en reviennent sains et saufs. — Tu dis vrai, mais tu vois aussi que ceux qui sont forts participent aux actes utiles, tandis que les faibles sont laissés de côté. — Et ces choses, qui sont tantôt utiles, tantôt inutiles, sont donc plutôt des biens que des maux ? — Par Jupiter, je ne le vois pas, du moins d’après ce raisonnement. Mais, Socrate, sans contredit l’habileté est un bien : en toute affaire, l’homme habile ne réussit-il pas mieux que l’ignorant ? — Eh quoi ? N’as-tu pas entendu dire que Dédale[1] fut pris par Minos à cause de son habileté, forcé de le servir, et privé tout ensemble de sa patrie et de sa liberté ; que, voulant prendre la fuite avec son fils, il le perdit, sans pouvoir se sauver lui-même, mais qu’il aborda chez des peuples barbares[2], qui le firent une seconde fois esclave ? — C’est ce qu’on dit, ma foi ! — Et Palamède[3] ? N’as-tu pas appris ses malheurs ? Tout le monde va répétant qu’Ulysse, jaloux de sa sagesse, le fit périr. — On le dit aussi. — Et combien d’autres hommes, n’est-ce pas, remarquables par leurs talents, ont été enlevés par le

  1. Voy. ce mot dans le Dict. de Jacobi.
  2. Les Sicanes ou Sicules, habitants de la Sicile.
  3. Cf. Platon, Apolog. de Socrate, chap. xxxii. On dit qu’Ulysse et Diomède, jaloux de la gloire de Palamède, fils de Nauplius, supposèrent une lettre qui lui était adressée par Priam, l’accusèrent de trahison et le firent lapider par les soldats. On lui attribuait beaucoup d’inventions, entre autres, celle des échecs.