Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/216

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— Oui, par Jupiter ! et encore ce n’est pas à la première place venue, mais à la place qui lui convient, que chaque chose est affectée. — Ce que tu dis, reprit Critobule, m’a tout l’air d’être aussi de la science économique. — Et si je te montre ici des serviteurs presque tous enchaînés et qui bien souvent s’échappent ; là, des serviteurs qui, libres de toutes chaînes, consentent à travailler et à demeurer, ne te paraîtrai-je pas t’avoir exposé un fait très-curieux d’économie ? — Oui, par Jupiter ! très-curieux ! — Si je te cite des cultivateurs qui cultivent de la même manière, et dont cependant les uns se disent ruinés par la culture et privés de ressources, tandis que les autres doivent à la culture la prospérité et l’abondance de tout ce dont ils ont besoin ? — Ma foi, dit Critobule, je croirais peut-être qu’outre les dépenses indispensables, les premiers en font encore de ruineuses pour leur maison. — Il est possible, dit Socrate, qu’il y ait des gens de cette sorte. Mais je ne parle pas de ceux-là ; je ne parle que de ceux qui, se disant cultivateurs, ne peuvent faire face aux dépenses nécessaires. — Et quelle pourrait être, Socrate, la cause de cette détresse ? — Je te conduirai chez eux, dit Socrate ; tu verras toi-même et tu jugeras. — Oui, ma foi, si je puis. — Il faut voir par expérience si tu pourras juger. Je sais que maintenant, quand il s’agit d’aller à la comédie, tu te lèves de bon matin, tu fais une longue route, et tu me proposes instamment de t’accompagner au spectacle. Mais pour une affaire du genre de celle qui nous occupe, tu ne m’as jamais fait de proposition. — Je te parais donc bien ridicule, Socrate ? — Par Jupiter ! c’est bien plus à toi-même que tu le parais. Et si je te fais voir des gens que l’élève[1] des chevaux a fait tomber dans la privation du nécessaire, tandis que l’élève des chevaux en a conduit d’autres à l’aisance et au plaisir que procure le gain ? — Oui, j’en vois tous les jours et j’en connais de l’une et l’autre espèce, et je n’en suis pas plus du nombre de ceux qui gagnent. — C’est comme quand tu regardes les tragiques et les comiques ; tu ne songes pas, je crois, à devenir poète, mais tu cherches le plaisir de voir et d’entendre, et sur ce point tu n’as pas tort, car tu ne veux pas être poëte. Mais, forcé d’élever des chevaux, ne crois-tu pas que tu es fou de ne point chercher à t’instruire dans cette industrie, surtout lorsque cette instruction doit t’être avantageuse pour

  1. Je n’ai pas cru devoir hésiter à me servir de ce mot, nouvellement introduit dans la langue, et qui joint la précision à la brièveté.