Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/228

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récit avec plus de plaisir que si tu me faisais celui d’un combat gymnique ou de la plus belle course de chevaux. »

Alors Ischomachus me répondit : « Quand elle se fut familiarisée avec moi et que l’intimité l’eut enhardie à converser librement, je lui fis à peu près les questions suivantes[1] : « Dis-moi, femme, commences-tu à comprendre pourquoi je t’ai prise et pourquoi tes parents t’ont donnée à moi ? Ce n’était pas qu’il nous fût difficile d’en trouver quelque autre avec qui partager un même lit : je suis sûr que toi-même en es convaincue. Mais après avoir réfléchi, moi pour moi, et tes parents pour toi, aux moyens de s’assortir le mieux possible pour avoir une maison et des enfants, je t’ai choisie, de même que tes parents m’ont probablement choisi, comme le parti le plus convenable. Nos enfants, si la divinité nous en donne, nous aviserons ensemble à les élever de notre mieux : car c’est aussi un bonheur, qui nous sera commun, de trouver en eux des défenseurs et de bons appuis pour notre vieillesse. Mais dès aujourd’hui cette maison nous est commune. Moi, tout ce que j’ai je le mets en commun, et toi tu as déjà mis en commun tout ce que tu as apporté. Il ne s’agit plus de compter lequel de nous deux a fourni plus que l’autre ; mais il faut bien se pénétrer de ceci, c’est que celui de nous deux qui gérera le mieux le bien commun, fera l’apport le plus précieux. » À ces mots, Socrate, ma femme me répondit : « Mais en quoi pourrais-je t’aider ? De quoi suis-je capable ? Tout roule sur toi. Ma mère m’a dit que ma tâche est de me bien conduire. — Oui, femme, par Jupiter ! lui dis-je, et mon père aussi me disait la même chose ; mais il est du devoir d’un homme et d’une femme qui se conduisent bien, de faire en sorte que ce qu’ils ont prospère au mieux et qu’il leur arrive en outre beaucoup de biens nouveaux par des moyens honnêtes et justes. — Mais en quoi vois-tu, me dit ma femme, que je puisse coopérer avec toi à l’accroissement de la maison ? — Par Jupiter ! répondis-je, ce pour quoi les dieux t’ont créée et ce que la loi ratifie, essaye de le faire de ton mieux. — Qu’est-ce donc ? reprit-elle. — Je crois, lui dis-je, que ce ne sont pas choses de médiocre

  1. Nous n’avons pas besoin de dire tout ce qu’il y a d’admirable, d’exquis, et en même temps de positif et de pratique, dans cette conversation : le reste de l’antiquité n’a rien, selon nous, de comparable à ce morceau. — Cf. Columelle, livre XII, préface, § 1-7.