Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/232

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son une maîtresse plus honorée. Car la beauté et la bonté, lui dis-je, ne dépendent point de la jeunesse ; ce sont les vertus qui les font croître dans la vie aux yeux des hommes. » Tel est, Socrate, si j’ai bonne mémoire, mon premier entretien avec ma femme. »



CHAPITRE VIII.


Suite de l’entretien d’Ischomachus avec sa femme.


« Mais as-tu remarqué, Ischomachus, lui dis-je, que cet entretien ait fait assez d’impression sur elle pour augmenter sa vigilance ? — Oui, par Jupiter ! répondit Ischomachus ; je la vis même un jour fort affectée et toute rougissante de n’avoir pu me donner sur ma demande un des objets apportés à la maison. Aussi remarquant son chagrin : « Femme, lui dis-je, ne t’afflige point de ne pouvoir me donner ce que je te demande en ce moment. C’est assurément la pauvreté même que de n’avoir pas à son usage ce dont on a besoin ; mais c’est une privation moins pénible de chercher sans trouver que de ne pas chercher du tout, parce qu’on sait ne rien avoir. Au reste, ajoutai-je, ce n’est point ta faute, mais la mienne, parce qu’en te livrant ma maison je n’ai pas eu soin de ranger les objets à une place fixe, de telle sorte que tu connusses bien l’endroit où il fallait les placer et les prendre.

« Or, il n’est rien de plus beau, femme, rien de plus utile pour les hommes que l’ordre. Un chœur est une réunion d’hommes. Que chacun prétende y faire ce qu’il lui plaît, quelle confusion, quel spectacle désagréable[1] ! Mais si tous exécutent avec ensemble les mouvements et les chants, quel charme pour les yeux et pour les oreilles ! Il en est de même d’une armée indisciplinée : c’est un immense pêle-mêle, une proie facile pour l’ennemi, un coup d’œil désolant pour les amis, une confusion stérile d’ânes, d’hoplites, de fourgons, de troupes légères, de cavalerie, de chariots. Car comment marcher en avant, quand tous s’embarrassent les uns dans les autres, celui qui marche avec celui qui court, celui qui court avec celui qui reste en place, le chariot dans le cavalier, l’âne

  1. Voy. la traduction de Cicéron dans Columelle, XII, chap. ii, § 6, où l’on trouvera également quelques autres fragments de ce chapitre.