Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/245

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que j’ai sur le cœur. Ou quelqu’un de la maison accuse, ou il se justifie ; j’écoute, alors, et je tâche de confondre le mensonge ; tantôt je me plains à un ami de celui-ci ; tantôt je loue celui-là ; je réconcilie des parents, et je m’efforce de leur prouver qu’ils ont beaucoup plus d’intérêt à être amis qu’ennemis. Sommes-nous en présence du stratége, nous blâmons l’un, ou nous prenons le parti d’un autre accusé injustement, ou nous censurons ceux d’entre nous qui obtiennent des faveurs sans les avoir méritées. Souvent, dans nos délibérations, nous louons un projet que nous voulons qu’on adopte, nous en blâmons un qui nous déplaît. Plus d’une fois, Socrate, je me suis vu condamné à une peine, à une amende déterminée. — Par qui donc, Ischomachus ? Voilà une chose que je ne savais pas. — Par ma femme ! — Et comment te défends-tu avec elle ? — Fort bien, quand j’ai le bonheur d’être dans le vrai ; mais quand je suis dans le faux, Socrate, par Jupiter, je ne puis faire que la mauvaise cause devienne la bonne[1] ! — C’est sans doute, Ischomachus, parce que tu ne peux faire que le mensonge soit la vérité. »



CHAPITRE XII.


Qualités d’un bon contre-maître : de l’œil du maître : le roi de Perse et l’écuyer.


« Mais, lui dis-je, Ischomachus, que je ne te retienne pas, si tu veux t’en aller. — Par Jupiter, Socrate, reprit-il, je ne m’en irai pas que la séance ne soit levée. — Par Jupiter, dis-je à mon tour, tu as grand’peur de perdre ton surnom de beau et bon. Mais tu as sans doute beaucoup d’affaires, tu as donné parole à des hôtes, et tu les attends pour ne pas fausser compagnie. — Cependant, Socrate, répondit il, je ne néglige pas pour cela les affaires que tu dis : j’ai des contre-maîtres à la campagne. — Dis-moi, Ischomachus, quand tu as besoin d’un contremaître et que tu sais qu’il y a quelque part un esclave intelligent, fais-tu des démarches pour l’acheter, comme tu en

  1. C’était là ce que Socrate reprochait aux sophistes ; et, chose étrange, c’est là ce qu’Aristophane reproche à Socrate lui-même, dans les Nuées, où le bonhomme Strepsiade vient demander au philosophe quelque moyen de tromper les créanciers de son fils.