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CHAPITRE XIV.


Suite du précédent : comment on inspire aux contre-maîtres le sentiment de la justice.


« Enfin, Ischomachus, repris-je, quand il est capable de commander de manière à être obéi, le crois-tu un contre-maître accompli, ou lui manque-t-il quelque chose, quand il a tout ce que tu viens de dire ? — Mais oui, par Jupiter, dit Ischomachus : il faut qu’il ne touche pas au bien de son maître et qu’il ne vole rien. Car, si celui qui a le maniement des fruits est assez hardi pour les faire disparaître de manière à ne rien laisser qui puisse indemniser des travaux, à quoi sert de cultiver la terre par l’entremise d’un pareil homme ? — Est-ce toi, lui dis-je, qui te charges de donner des leçons de justice ? — Oui, dit Ischomachus ; mais il s’en faut bien que je trouve tous les esprits disposés à les recevoir. Je prends en partie dans les lois de Dracon[1], en partie dans celles de Solon, pour enseigner la justice à mes serviteurs. Il me semble, en effet, que ces grands hommes ont donné beaucoup de lois propres à inspirer cette sorte de justice. Des châtiments y sont prononcés contre le vol : la prison pour le voleur pris sur le fait ; la mort pour les tentatives violentes. Il est évident, continua-t-il, qu’ils ont prononcé ces peines pour rendre infructueux aux fripons leur gain sordide. Pour ma part, c’est en empruntant quelques-unes de ces lois, auxquelles j’ajoute quelques ordonnances royales[2], que je m’efforce de rendre mes serviteurs fidèles dans leur gestion. Ces lois, en effet, n’offrent que des peines aux délinquants, tandis que les ordonnances royales, à côté de la peine pour le délit, offrent des prix à la fidélité ; de sorte que beaucoup de gens, même épris du gain, voyant l’homme juste devenir plus riche que l’injuste, s’abstiennent de toute injustice. Ceux que je vois, malgré mes bons traitements, s’efforcer de mal faire, je les considère comme atteints d’une cupidité incurable, et je les mets hors de service, tandis que ceux que je

  1. Leur sévérité est devenue proverbiale.
  2. Quelques commentateurs croient qu’il s’agit ici de lois données aux Athéniens par Eumolpe, un des premiers rois de l’Attique. Weiske, d’accord avec Zeune, pense qu’il s’agit plutôt d’ordonnances empruntées aux rois de Perse.